Ressources et idées pour l'école primaire. Décomposition des nombres, poésie, pédagogie
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Gonzague JD :
Bonjour, je vous remercie pour ce livre qui sera mon manuel de référence pour cette année. Ce qui m'interroge un peu, car je souhaite travailler autant que possible d'après ce que je comprends des recommandations de Rémi Brissiaud, ce sont les collections-témoins choisies dans votre manuel pour les cartes-nombres. Je prévois pour ma part de travailler principalement avec des collections-témoins organisées car elles favorisent la stratégie de composition-décomposition et défavorisent le comptage-numérotage. J’ai choisi les deux types de collections-témoins organisées recommandées par Brissiaud (celle du dé et celle des plaques Herbinière-Lebert) ainsi que certaines décompositions qu’il privilégie :
« Si l'on fait le calcul du nombre de décompositions qu'il faut savoir utiliser pour connaître de manière approfondie les 10 premiers nombres, on en trouve 45, toujours en se cantonnant aux décompositions en deux nombres seulement. Aussi n'est-il guère raisonnable d'espérer que l'ensemble des enfants se soit approprié les 10 premiers nombres en fin de GS. Comme 45 décompositions sont en nombre trop élevé, la question se pose de savoir lesquelles il convient de privilégier pour l'étude des nombres après 5. La réponse va pratiquement de soi : les décompositions qui ont partie liée avec l'itération de l'unité, évidemment, ainsi que celles qui sont privilégiées par les deux grands systèmes de constellations que l'école utilise depuis bien longtemps (voir figure ci-dessous) : en premier, celles du type 5 + n et, en second, les décompositions des nombres pairs en doubles et celles des nombres impairs en doubles + 1. L'accès aux décompositions suivantes, par exemple, doit être considéré comme prioritaire : 6 = 5 + 1 (itération de l'unité), 6 = 3 + 3 (double), 7 = 6 + 1 (itération de l'unité), 7 = 5 + 2 (repère 5), 7 = 3 + 3 + 1 (double +1), 8 = 7 + 1 (itération de l'unité), etc. »[i]
Je serais heureux d'en discuter avec vous.
Professeur :
Concernant les cartes-nombres, nous n'avons pas de certitude. Je ne suis pas certain qu'il faille aller trop loin dans le détail de quelle décomposition privilégier (à la relecture, cette phrase est stupide, j'imagine que personne ne pense qu'il faut aller trop loin, la question est de savoir ce qui est "trop"). L'important à mon avis est que les enfants travaillent avec les décompositions, et en mémorisent quelques-unes. Faut-il vraiment passer d'une situation où l'on misait tout sur le comptage à une situation où l'on fixerait une liste de décompositions à connaître absolument ?
Je crains si on va très loin dans le détail que le travail de maths devienne une accumulation de temps consacrés à mémoriser telle ou telle décomposition (et avec la pression actuelle sur l'évaluation c'est une vraie crainte). Il me semble donc préférable de faire confiance à la variété des situations rencontrées, en explicitant autant que possible dans chaque travail les raisonnements utilisés.
Je ne suis pas Rémi Brissiaud par exemple quand dans les versions récentes de J’Apprends les maths CP il marque le point central des groupes de 5 pour s'appuyer sur la décomposition 2, 1 et encore 2. Ça me semble contradictoire avec l'idée plus importante que le nombre d'éléments ne dépend pas de leur position, qu'aucun des n éléments n'a un rôle privilégié.
Au passage, l'utilisation des décompositions ne sert pas seulement à trouver le mot-nombre qui convient (5 et encore 2 c'est 7) mais aussi à résoudre directement des problèmes : pour prendre autant de jetons que sur une carte où il y a 3 et 2, il faut prendre 3 et 2 (savoir que c'est 5 n'est pas indispensable ici). Pour comparer deux quantités on peut dire que 4 et 3, c'est plus que 4 et 2 parce que 3 c'est plus que 2, même si on ne sait pas qu'il s'agit respectivement de 7 et 6. Il y aurait avantage, pour la résolution de problèmes, notamment au cycle 2, à s'appuyer beaucoup sur ce type de raisonnements et de façon plus large sur le calcul mental au lieu de chercher, comme c'est la mode actuellement, à enseigner aux enfants les catégories de la classification de Vergnaud.
GJD :
Merci beaucoup pour votre réponse.
Je suis d’accord avec vous qu’il ne faut pas forcément passer « d'une situation où l'on misait tout sur le comptage à une situation où l'on fixerait une liste de décompositions à connaître absolument » et que les maths ne doivent pas devenir « une accumulation de temps consacrés à mémoriser telle ou telle décomposition ». Il y a sans doute une pente possible en ce sens.
Toutefois, voyez-vous l’avantage possible à privilégier certaines collections-témoins organisées et certaines décompositions ?
· En privilégiant un faible nombre de collections-témoins organisées (Herbinière-Lebert, dés, doigts…) on permet aux élèves de mettre plus facilement en œuvre la stratégie de décomposition : sans collections à l’organisation connue, comment éviter le comptage-numérotage et le par cœur abstrait ?
· Pour la liste des décompositions à privilégier, j’ai plus dans l’esprit que limiter l’apprentissage à quelques-unes (plutôt qu’aux 45 décompositions des nombres jusqu'à 10) permet justement de ne pas trop en faire et de se concentrer sur quelques repères utiles pour le calcul (doubles, itération de l’unité, repère 5).
J’entends toutefois votre remarque et je suis d’accord pour mettre en avant « la variété des situations rencontrées, en explicitant autant que possible dans chaque travail les raisonnements utilisés. » Les très bonnes situations proposées dans votre manuel seraient sans doute d’ailleurs compatibles avec la méthode que j’essaye de suivre, qu’en pensez-vous ?
Brissiaud était-lui-même assez rebuté par les arides manuels d’utilisation des plaquettes Herbinière-Lebert et a fait des efforts dans votre sens. J’ai essayé à ma mesure de poursuivre dans cette voie moins formelle (cf. ici mes situations pour la grande section).
Je suis par ailleurs parfaitement d’accord avec vous que « l'utilisation des décompositions ne sert pas seulement à trouver le mot-nombre qui convient (5 et encore 2 c'est 7) mais aussi à résoudre directement des problèmes : Pour prendre autant de jetons que sur une carte où il y a 3 et 2, il faut prendre 3 et 2 (savoir que c'est 5 n'est pas indispensable ici). » Je saurai en tenir compte cette année. Votre remarque me parait d’autant plus juste si dans la carte en question la décomposition est à faire par l’élève (collection témoin organisée de 5) et pas déjà faite par le maître (collection de 3 à gauche et collection de 2 à droite). On retrouve alors la question de l’importance à accorder à certaines collections témoins privilégiées dont la stabilité soit une aide pour l’élève.
Ce qui nous amène à votre analyse du manuel de Brissiaud pour le CP : « Je ne suis pas Rémi Brissiaud par exemple quand dans les versions récentes de J’apprends les Maths pour le CP il marque le point central des groupes de 5 pour s'appuyer sur la décomposition 2, 1 et encore 2. Ça me semble contradictoire avec l'idée plus importante que le nombre d'éléments ne dépend pas de leur position, qu'aucun des n éléments n'a un rôle privilégié. »
Il me semble que votre remarque est tout à fait juste si Brissiaud se limite dans le manuel à cette seule décomposition de 5 (présentation d’une seule collection-témoin organisée – la configuration du dé – ; absence des décompositions 4 et 1 ou 3 et 2 ; marquage systématique du point central). Dans le cas contraire (je n’ai pas vérifié), il me semble que cette méthode peut être une aide pour favoriser une stratégie de décomposition plutôt que de comptage-numérotage.
Mais je ne suis pas forcément partisan de toutes les transpositions par Brissiaud de ses propres principes didactiques. Je me demandais plus simplement si dans le but que je poursuis (est-il légitime ?), mes choix de nombres figuraux et de certaines de leurs décompositions pouvait apporter quelque chose aux situations de votre manuel (ou du moins ne pas leur nuire).
Professeur :
Le choix des décompositions à privilégier n'a pas été notre piste principale lors de la préparation du livre. Je n'ai donc pas beaucoup d'éléments pour vous aider à ce propos. Cependant, vos réflexions m'intéressent, il se peut qu'elles influent sur nos propositions pour la version GS que nous devrions commencer à préparer bientôt.
Bon courage, bonne rentrée et bonnes réflexions…
Professeur
Bonjour, il y a déjà un certain temps vous m'aviez posé des questions sur le choix des configurations de points dans notre manuel. J'ai vu aussi que vous proposiez sur votre site l'utilisation des plaques-nombres Herbinière-Lebert.
Vos questions m'avaient intéressé et nous nous sommes donc reposés la question de la représentation des nombres dans le volume GS.
Nous avons finalement choisi de privilégier à nouveau les configurations du dé (et les dispositions inorganisées s'il faut confronter calcul et comptage). Pour être bref, il nous semble que l'enjeu en maternelle est de reconnaître quelques configurations et de s'appuyer sur ces connaissances pour commencer à calculer. Le 5 du dé est par exemple une forme très prégnante, facile à reconnaître. Ce n'est pas le cas des plaques (difficile sans un peu de comptage de différencier la plaque 8 de la plaque 10 ou 7 de 9, à moins que vous utilisiez la version où tous les nombre sont représentés sur une grille de 10 case… ce qui pose d'autres problèmes : si vous avez 9 objets sans grille, comment les disposer pour mettre en évidence qu'il y en a 9 ? De plus 9 est reconnu parce qu'il manque seulement un point… ce qui fait que si vous introduisez une plaque 11 sur une grille de 12 elle risque d'être perçue comme 9.
En gros, il me semble que les avantage de ces plaques sont beaucoup plus évidents pour l'élémentaire que pour la maternelle : différenciation graphique des nombres pairs/impairs, mise en évidence de propriétés (la somme de deux nombres impairs est toujours un nombre pair), comparaison de deux sommes facilitée (avec les dés, l'égalité de 6+3 et 5+4 n'est pas évidente).
En gros il me semble qu'en maternelle les nombres ont une personnalité : par exemple 8 c'est avant tout 4 et encore 4, décomposition qui est permise mais pas particulièrement valorisée par une plaque 8. En revanche à l'élémentaire, un matériel qui permet d'envisager les décompositions de façon exhaustive me semble plus pertinent.
Je reconnais que tout cela n'est pas très scientifique mais comme vous nous avez posé de bonnes questions, vous méritiez bien d'être informé de ce que nous en avons fait.
GJD
Bonjour,
Je vous remercie beaucoup d’avoir pris la peine de m’écrire pour préciser vos choix de configurations de points.
Je comprends bien l’intérêt des configurations du dé, surtout :
Je suis aussi d’accord avec vous qu’à partir de 8 la différenciation des plaques n’est pas évidente. C’est pour cette raison que Brissiaud n’allait pas au-delà de 8 avec ces plaques dans son manuel pour les GS des années 90 (il va maintenant jusqu’à 10 dans ses albums à calculer [ii]).
Je Je crois tout de même utile d’introduire une deuxième collection-témoin organisée et spécialement les plaques Herbinière-Lebert :
Vous dites avec de bonnes raisons que les plaques-nombres ont moins de « personnalité » que les configurations du dé. C’est vrai que leur facilité de reconnaissance s’atténue quand on s’approche de 10 mais c’est en raison inverse de la capacité de chaque plaque-nombre à récapituler l’ensemble de ses décompositions[iii]. En ce sens-là les nombres sont plus reconnaissables avec les plaques Herbinière-Lebert (elles ont une seule présentation : les nombres n’y apparaissent pas déjà décomposés de multiples façons comme avec deux dés) Pour le dire autrement, quand on fonctionne avec une collection-témoin organisée (présentée physiquement ou évoquée mentalement), la capacité d’auto-validation d’une recomposition du nombre est plus évidente avec une plaque-nombre qu’avec les dés (même reconfigurés).
Si les stratégies de recomposition d’un nombre sont plus explicites avec les plaques Herbinière-Lebert, les stratégies de décompositions du nombre le sont aussi. En effet deux dés lancés décomposent eux-mêmes les nombres sans le concours de l’élève. Tandis qu’avec les plaques, l’élève doit effectuer lui-même la décomposition. Le principal intérêt des dés est donc pour moi d’aider à mémoriser les décompositions de 5+n.
Il demeure que la stratégie de décomposition d’une plaque-nombre n’est pas évidente, surtout à partir de 8. Pour faciliter les stratégies de décomposition avec les plaques Herbinière-Lebert j’encourage beaucoup les élèves à cacher une partie de la plaque avec leur main pour faire apparaître une collection connue puis une autre.
Il faudrait analyser précisément en situation si cela stimule effectivement, hors du regard de l’adulte, la stratégie de regroupement des unités (stratégie transférable en partie pour des collections inorganisées) pour éviter le comptage à 1 à 1, ou bien si les élèves renoncent à regrouper et comptent 1 à 1.
Je pense que cela dépend en partie des situations proposées et des stratégies valorisées en classe. Mon « jeu du marché » par exemple requière d’apporter deux ou trois plaques pour obtenir le nombre cible dont le gabarit (pointé ou non) sert pour l’auto-validation.
Là comme ailleurs je n’encourage pas mes élèves à reconnaître directement les plaques de 7, 8, 9, 10 mais à s’appuyer surtout sur les doubles :
Beaucoup de mes élèves ne se limitent pas à ces décompositions là avec les plaques-nombres. Il faudrait que je puisse inventorier et analyser précisément leurs stratégies pour les évoquer de manière utile à notre question.
En conclusion je pense que les deux configurations (dés et plaques) ont des avantages distincts, ce qui pourrait plaider pour une utilisation conjointe.
Bien cordialement.
[i] Rémi Brissiaud : « Le nombre dans le nouveau programme maternelle : Deuxième partie ». http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/10/RBrissiaud09102015Article2.aspx
[ii] Bizarrement, ses albums à calculer basés sur le repère 5 du dé s’arrêtent au nombre 7 alors qu’ils auraient tout intérêt à poursuivre jusqu’à 10…
[iii] « La perception qui doit se faire à la fois du nombre, des parties, des relations entre ses parties et lui-même, est détruite par la manipulation unité par unité. Une seule solution : présenter chaque nombre de façon indivise. [...] Les groupements numériques permettent la perception intuitive des décompositions et recompositions, et, en aidant à l’abstraction, leur mémorisation. [...] Que l’on examine par exemple comment les plaquettes Herbinière Lebert permettent l’étude du nombre 7 : la forme de ce dernier nombre est constante quand sa structure interne varie : il y a conservation absolue de sa totalité dans l’espace, quoique les relations de ses diverses parties soient sans cesse modifiées.» (FARENG R. & FARENG M., L'apprentissage du calcul avec les enfants de 5 à 7ans. Paris, Fernand Nathan, collection « Comment faire ? », 1966.)