Ressources et idées pour l'école primaire. Décomposition des nombres, poésie, pédagogie
Né en 1900 à Cracovie (Pologne) dans une grande famille aristocratique, Zbigniew Antony Lubienski[1] étudia la philosophie et la théologie en vue de devenir prêtre mais l’étude de la philosophie ébranla sa foi et il entreprit une thèse sur le philosophe Thomas Hobbes puis une carrière universitaire. Il rencontra à 28 ans la comtesse Helen Czosnowska qui devint son épouse sous le nom de Lubienska. C’est elle qui lui fit connaître Maria Montessori. Les époux assistèrent ensemble au cours international de Londres et devinrent les intime de Maria Montessori qui fut marraine de leur enfant Felix. Intéressé par les mathématiques Lubienski perçut des limites au matériel des perles développé par Montessori et les remplaça par des cubes d’1 cm d’arête. La pédagogue encouragea d’abord ses trouvailles et lui recommanda en 1933 d’aller enseigner en Angleterre. Helen resta en France et après la guerre leur mariage fut dissout (et plus tard annulé). Lubienski écrivit « plusieurs articles parus dans des revues italiennes et intervint au troisième Congrès Montessori (Amsterdam, été 1933). Hélène qui se déclarait incompétente pour les mathématiques se consacra plus particulièrement à l’éducation sensorielle et l’enseignement du français. »[2].
Helen Lubienska publia de nombreux ouvrages sur la pédagogie Montessori et sur sa propre interprétation de l’esprit de cette pédagogie, particulièrement son lien avec la liturgie catholique et ses développements possibles pour la catéchèse des enfants. Elle ajouta à son nom celui de son grand-père maternel : de Lenval.
Zbigniew Lubienski adopta la nationalité britannique en 1947. Il changea alors officiellement son prénom en Roland pour plus de commodité et prit pour surnom Wentworth (prénom de baptême de son grand-oncle). Il se remaria et ne cessa d’enseigner, dans de nombreuses écoles et quelques temps à l’université. Son matériel mathématique fut développé tout au long de sa vie[3] mais sans connaître une large audience. Il mourut à Londres en 1997.
Quel était le fameux matériel censé améliorer celui de Maria Montessori ? Il fut notamment présenté en 1934 au vingtième cours international Montessori de Nice qu’Helen Lubienska avait organisé [4] avec Mademoiselle C. Pontremoli.
Voici le compte-rendu qu'en fait la revue La Nouvelle éducation en novembre 1934 :
"La partie du programme concernant l'éducation sensorielle et l'enseignement du français a été traitée par Mme Lubienska qui s'est aussi attachée, parallèlement aux conférences de Mme Montessori, à préciser les points délicats, à coordonner les idées générales ; elle a su les mettre en relief avec un grand talent et, rattachant toujours les applications, en apparence isolées, aux grands principes fondamentaux, faire ressortir l'admirable cohérence de la méthode. Les élèves ont beaucoup gagné au contact de cette forte personnalité qui, en restant parfaitement fidèle à la pensée de la Doctoresse dont elle est depuis longtemps la collaboratrice, leur apportait la lumière de son rare esprit de synthèse.
M. Lubienski a expliqué le maniement du matériel d'arithmétique élémentaire et a exposé les recherches d'adaptation des principes montessoriens à l'enseignement secondaire à l'école de Great Felcourt où il a fait des expériences, à la Maison des Enfants de Sèvres, au Lycée d'Amsterdam. Mme Montessori considère qu'actuellement sa méthode n'est au point que jusqu'à 9 ans environ. M. Lubienski poursuit ce travail d'adaptation pour les enfants plus grands et ses leçons ont ouvert des horizons nouveaux aux étudiants du Cours : recherche du P. G. C. D. et P. P. C. M., opérations sur les nombres décimaux, racine carrée, racine cubique, nombres négatifs, géométrie dans l'espace, innombrables applications des formes géométriques, équivalences, surfaces, toujours grâce à ce matériel qui contient seulement les éléments essentiels et laisse le champ libre à toutes les découvertes.
Une classe d'observation était ouverte tous les matins et comprenait les enfants de quelques étudiantes et des enfants d'écoles publiques. Il était frappant de voir comment ces enfants, non préparés à la méthode, se fixaient chaque jour mieux, et cette observation fut pleine d'enseignement pour tout le monde.
Tous les matins, deux heures étaient réservées à la pratique du matériel avec la collaboration compétente des maîtresses de la classe Montessori, sous la direction de M. Lubienski et de Mme Lubienska."
(B. HAUVAUX et G. FÉUV, "Le XXe Cours international Montessori, Nice, 1934", La Nouvelle éducation, 13e Année. - N° 129 Novembre 1934.)
Le matériel avait d’abords reçu les encouragements de Montessori mais « ce cours signe aussi l’arrêt de leur collaboration directe à cause d’une gaffe de Lubienski et du peu d’inscrits qui entraîna un déficit ». Lubienski avait en effet regretté « que ‘’l’ancienne manière de voir de Montessori, due à son âge, l’empêchait d’adhérer pleinement à son point de vue.’’ […] Après le cours, Montessori lui signifia qu’elle ne reconnaissait plus la validité de ses travaux. »[5] Le matériel de Lubienski est introduit néanmoins dans ses classes Montessori par Helen Lubienska.
La matériel qui nous intéresse ici est appelé « matériel concret ». Fabriqué en bois et de couleur naturelle il comprend des cubes unité d’1 cm d’arête, des barres graduées de 10 unités, de plaques carrées de 100 unités et des cubes de 1000 unités. Le matériel permettait d’introduire au système décimal, à sa notation positionnelle et aux principales opérations.
Hélène Lubienska utilisait par ailleurs un « matériel symbolique » qui comprenait 70 cubes : des cubes rouge représentant la centaine, des cubes bleus représentant la dizaine et des cubes jaunes l’unité. L’élève pouvait les aligner pour comprendre la notation positionnelle en base 10 ou bien agencer les cubes d’une manière particulière qui permettait de représenter la multiplication et la division.
Ce matériel et d’autres furent présentés dans deux livres (épuisés) édités dans la collection du Jésuite Pierre Faure, principal introducteur des méthodes de pédagogie nouvelle dans l’enseignement catholique :
Le matériel est aujourd’hui diffusé en France par OPPA Montessori qui édite aussi deux courts livrets de présentation.
Gonzague Jobbé-Duval
Voir aussi mon article sur la genèse des blocs de base 10.
[1] La plupart des informations sur sa vie me viennent de son livre posthume et particulièrement de la note biographique écrite par son fils Felix Lubienski Wentworth : Roland A. Lubienski, Montessori Guide for the New Millenium,
[2] Martine Gilsoul, « Hélène Lubienska de Lenval. De la conquête de la vie et du triomphe de la conscience »
[3] On trouve notamment deux brevets en Grande-Bretagne en 1980 et 1982 : GB1569749A Mathematical Apparatus ; GB2087620A Arithmetical Teaching Aid.
[4] Helene Lubienska, “Montessori’s First Curriculum for Teachers of Secondary Schools” (1934), AMI Journal 2011/1/2 [“A report by Countess Lubienska on the preparations and curriculum of the XX International Montessori Course, Nice, 1934. We have chosen this document to substitute for a missing original text on this theme by Montessori herself”.]
[5] Cité par Martine Gilsoul, « Hélène Lubienska de Lenval (1895-1972) : Montessori et l'audace de l'intuition », History of Education and Children's Literature : HECL : VII, 2, 2012. EUM - Edizioni Università di Macerata, pp. 221-240. D’après M. Neyret, Hélène Lubienska de Lenval. Pour une pédagogie de la personne, Maredsous, "Bible et Vie chrétienne", 1994, p. 279.