Ressources et idées pour l'école primaire. Décomposition des nombres, poésie, pédagogie
Rémi Brissiaud[i] contribue depuis plus de 30 ans, par ses publications scientifiques et ses manuels, à initier les élèves aux nombres comme « relations entre des quantités[ii] » en favorisant, pour le dénombrement et le calcul, des stratégies de décomposition et recomposition plutôt que de comptage 1 à 1 ou de surcomptage. Par exemple : connaître certaines décompositions additives de 10 permet de résoudre avec aisance l’opération 7+4 ; si j’ai appris que 10=7+3 et 4=3+1, je peux envisager 7+4 comme (7+3)+1=11). Rémi Brissiaud a proposé plusieurs pistes pour permettre à de jeunes enfants de mettre en relation des quantités et de mémoriser ces relations, notamment s’appuyer sur des « collections témoins organisées » ou « nombres figuraux » (doigts de la main, dés reconfigurés autour du repère cinq, configurations Herbinière-Lebert qui s’appuient sur les doubles). Ces collections témoins permettent de faire l’économie du comptage un à un, favorisent l’apprentissage de certaines décompositions à privilégier dans notre système décimal et, grâce à leur organisation spatiale stable et régulière[iii], permettent de former clairement chaque nombre à partir des précédents et de faire valider par les élèves leurs anticipations concernant les décompositions et recompositions des nombres.
Dans cet esprit, Rémi Brissiaud avait dès les années 90 encouragé la fabrication par l’enseignant.e d’un matériel tombé en désuétude : les plaquettes de Suzanne Herbinière-Lebert ; et il avait créé son propre matériel: les « réglettes avec cache » puis plus récemment les « boîtes de Picbille ».
La dernière-née de ses méthodes s’appelle « Les Noums CP ». Développée avec la société We Want to Know[iv], elle s’appuie sur une application pour un usage collectif sur vidéoprojecteur ou TBI et un usage individuel sur tablettes et fichier en papier.
WWTK (sous la marque DragonBox) avait développé une application grand public appelée "Numbers" dans laquelle figurait une première version des « noums ». Rémi Brissiaud a été recruté pour modifier l'application et surtout proposer un nouvel environnement didactique complet pour les écoles primaires.
Pendant l’année scolaire 2016-2017, 40 classes (600 élèves) ont expérimentée la méthode en Norvège. En France deux classes de CP (50 élèves) l’ont aussi utilisée à Saint-Raphaël (Var) avec Rémi Brissiaud engagé comme maître surnuméraire à mi-temps. En 2019-2020 la méthode a été librement mise à disposition des enseignants de France pour une expérimentation plus large. Rémi Brissiaud présente personnellement la méthode sur une chaîne YouTube dédiée et l’évoque sur le site Internet du Café Pédagogique[v].
J’essaye ici de comprendre le choix du matériel employé principalement par Brissiaud (des réglettes colorées appelées « noums ») au regard des objectifs visés et des moyens supplémentaires offerts par rapport aux réglettes utilisées précédemment par les pédagogues.
Les « noums » de Rémi Brissiaud (1ère partie)
La méthode « Les Noums-CP » s’appuie principalement sur des réglettes représentant les nombres de 1 à 10 : les « noums ». Ces réglettes de couleurs distinctes sont d’une longueur de 1 à 10 cubes d’un cm mis bout à bout. Les élèves les manipulent au moyen de pavés de plastique indivises et sur un écran.
Les « noums » en plastique (à gauche) et sur écran (à droite)
L’utilisation de l’écran permet à Brissiaud deux modalités successives de représentation du nombre : cacher les unités (pour éviter le comptage 1 à 1 et mettre en relations des groupes d’unités) puis les dévoiler (pour montrer que le « noum 8 » contient 8 unités). Le dévoilement des unités de base qui composent les « noums » se fait soit en plaçant sur eux une sorte d’appareil de radiographie qui montre ce qu’ils ont dans le « ventre » (ils ont en effet l’aspect de monstres), soit en découpant du doigt les « noums » pour décomposer un nombre en plus petits nombres. Pour recomposer un nombre, un « noum » peut en avaler un autre et former le « noum » qui est la somme des deux[vi].
Ajoutons que les unités de base composant ces réglettes (le « noum 1 ») peuvent aussi être organisées sur l’écran en collections témoins privilégiant le repère 5 ou le repère 2. On utilise à cet effet d’une part des réglettes à deux compartiments de 5 cases mis bout à bout, similaires aux « boîtes de Picbille » inventées par Brissiaud pour ses précédents manuels ; d’autre part des grilles de deux colonnes de 5 cases chacune (nommées ailleurs « grilles de 10 ») qui se remplissent ici comme les plaquettes Herbinière-Lebert. Notons l’excellente fonctionnalité permettant de faire apparaître à l’écran d’autres nombres figuraux (doigts, schémas de doigts ou dominos privilégiant le repère 5) dont l’élève devra anticiper comment ils « rempliront » les deux « boîtes ». Cette attention à ce que l’élève anticipe le résultat de son action et le valide ensuite lui-même est une juste préoccupation de Brissiaud depuis longtemps (voir notamment le système de rabats de ses Albums à calculer et les caches de la boîte de Picbille). L’expérience de l’équivalence de plusieurs représentations analogiques des nombres est aussi un atout important de cet outil.
Pour distinguer la valeur de chaque « noum » opaque (sans « radiographie »), Brissiaud ne s’appuie pas sur les seuls rapports de longueur. Il utilise la couleur, comme George Cuisenaire ou Catherine Stern notamment (cf. plus bas), mais à titre secondaire d’aide-mémoire et comme moyen de repérer rapidement chaque « noum », de le distinguer facilement des autres. Le principal et nouveau moyen utilisé par Brissiaud est en effet de faire figurer en haut de chaque réglette (sur la tête du « noum ») une collection témoin d’yeux organisée autour du repère 5. Il me semble que la couleur sert d’abord à fixer dans la mémoire cette collection témoin organisée et la quantité qu’elle représente ; pour sa part la longueur des réglettes sert d’abord ici à valider les anticipations des élèves sur les décompositions-recompositions.
Rémi Brissiaud remédie ainsi sans doute à plusieurs problèmes qui pouvaient être rencontrés par les élèves avec certaines réglettes qui ont précédé son matériel. Voici lesquels :
Je reviendrai plus longuement sur les « noums » à la fin de ce texte. Voyons à présent plus précisément de quoi il retourne avec les outils pédagogiques antérieurs aux « noums » de Rémi Brissiaud. Celui-ci n’évoque que les réglettes de George Cuisenaire mais j’examinerai brièvement tous les matériels similaires que j’ai rencontrés, c’est-à-dire uniquement ceux basés sur des barres/tiges/réglettes qui représentent chaque quantité d’emblée comme un tout, une nouvelle unité, et pas les matériels composés d’unités à assembler bout à bout comme les bouliers, les prismes de Fröbel, Weidner[ix], Schminke[x], Tacey (les Unifix) ou les tuiles de Fuson[xi]. Je ne parlerai pas non plus d’autres barres de calcul qui ne visent pas à l’initiation aux premiers nombres, comme celles de Madeya[xii].
Quand ce sera possible j’examinerai non seulement le matériel mais aussi la situation précise proposée aux élèves pour voir si elles permettent de favoriser une authentique mise en relation des quantités, une stratégie de décomposition-recomposition des nombres et une tâche d’anticipation qui permettent d’entrer dans la conceptualisation du nombre.
Le « Rechenkasten » de l’Allemand Ernst Tillich (1780-1807).
Le « Rechenkasten » (boîte de calcul / calculateur) d’Ernst Tillich[xiii], présenté au public en 1806[xiv], consiste en une centaine de prismes en bois à section carrée longs de 1 à 10 pouces. Il existe 10 exemplaires de chaque barre hormis le cube-unité de 1 pouce d’arête qui est disponible en vingt exemplaires à cause de son usage plus fréquent. Les barres sont rangées dans une boîte de dix compartiments en terrasse d’une hauteur adaptée à chaque barre placée verticalement. (Cf. illustration). Sur le couvercle de la boîte on peut assembler et séparer les barres afin d’établir les relations entre elles. A côté d’une barre de 8 pouces les élèves pouvaient disposer quatre barres de deux pouces ou deux barres de quatre pouces ou huit barres d’un pouce, etc.
Les barres conçues par Tillich ne comportaient pas de marques des unités de base qui les composent, afin de mettre en valeur les relations entre les quantités. L’invention de Tillich mit un siècle à sortir de l’ombre. On objecta à son époque qu’une barre, même six fois la longueur d’un cube, reste une seule barre et n’offre pas de vision immédiate des six cubes qui la composent[xv]. Les élèves étaient-ils toujours assez conscients de manipuler des représentations de quantités discrètes ?
Puisque rien ne venait distraire l’œil (ni couleur, ni forme), on comprend l’importance particulière de disposer d’une boîte pour ordonner les barres selon leur valeur numérique. Cela évitait sans doute aux élèves d’apprendre par cœur une table des associations de mots-nombres sans signification numérique. Ils devaient sans doute constamment se référer à l’ordre des barres dans la boîte de présentation et s’appuyer sur les rapports de longueur. Il faudrait préciser l’usage pédagogique précis dans le texte de Tillich que je n’ai pas pu consulter.
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Plusieurs outils didactiques inspirés des barres de Tillich virent le jour, en Allemagne surtout, à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème. Leurs autrices et auteurs jugèrent préférables de ne pas s’appuyer seulement sur la longueur relative des barres. Toutes et tous marquèrent les unités qui composent les barres et plusieurs illustrèrent sur les barres elles-mêmes certaines relations entre les quantités. Plus tard et hors d’Allemagne, d’autres pédagogues renouèrent avec des barres indivises à la manière de Tillich.
Les « 66 blocs » de Mina Audemars (1883-1971) et Louise Lafendel (1872-1971)
Variante la plus simple des barres de Tillich, les 66 blocs furent créés aux environs de 1914 par Mina Audemars et Louise Lafendel à la Maison des Petits de l'Institut J.-J. Rousseau de Genève. Les barres sont de couleur naturelle et les séparations entre unités marquées d'un trait.
L’élève pouvait donc compter les unités une à une… et peut-être lui arrivait-il de s’en contenter plutôt que de prendre appui sur cette quantité dénombrée pour la mettre en relation avec d’autres quantités.
Le « Rechenkasten » de Wander
Créé au plus tard en 1914 et présenté comme une variante des barres de Tillich, le Rechenkasten de Wander représente néanmoins les unités de base qui composent chaque barre : des cubes en bois blanc ou noir hauts d’environ 5 cm.
Les couleurs noire et blanche alternent sur les cubes qui composent les barres. Maria Montessori fera un choix similaire avec ses barres alternant les couleurs rouge et bleu.
Ici aussi l’élève pouvait donc compter les unités une à une… et peut-être lui arrivait-il de s’en contenter plutôt que de prendre appui sur cette quantité dénombrée pour la mettre en relation avec d’autres quantités.
L' « Educational Appliance » de John Kneeshaw
En 1915 l’Etats-Unien John Kneeshaw dépose le brevet d’un matériel éducatif du même esprit que celui de Wander. Il utilise non pas des barres mais des plaques rectangulaires figurant les unités par des disques, qui pouvaient coulisser dans un panneau comportant plusieurs rangées, ce qui permettait sans doute de comparer plusieurs manières de former une même quantité, même si Kneeshaw se contente de proposer à l’enseignant d’illustrer des additions avec ce matériel. Les disques pouvaient être d’une seule couleur ou de couleur différente selon leur nombre mais Kneeshaw n’exploite pas le potentiel de cette idée.
Le « Rechenkasten » de Fritz Adam
Créé avant 1901[xvii], le Rechenkasten d’Adam contient soixante-dix barres prismatiques bicolores munis de bandes de séparation, pour représenter les nombres de 1 à 10. Les barres sont d’une hauteur de 3 à 30 cm. Les deux couleurs des faces (noir ou blanc) permettaient de placer bout à bout deux baguettes tout en les distinguant.
Les barres du Rechenkasten pouvaient être insérées dans les rigoles d’un Rechenbrett présentant les nombres de 1 à 6 ou de 1 à 10 sous forme d’un escalier gradué, ce qui qui permettait d’étudier les décompositions des premiers nombres.
Un autre Rechenbrett (muni d’une grille de 10 sur 10) permettait d’insérer 100 unités et d’étudier le passage de la dizaine : Pour ajouter 9 à 86, on disposait 8 barres blanches de 10 unités et une barre blanche de 6 unités puis on était obligé de décomposer 9 en une barre noire de 4 unités et une barre noire de 5 unités.
L’usage de deux couleurs illustre bien que l’on met en relation des quantités et permet de comprendre et mémoriser ces relations. Cette solution me parait supérieure à celle proposée par Wander qui distinguait, par l’alternance des couleurs des cubes unités de chaque barre, seulement les unités de base et pas les quantités obtenues.
Le « Rechenkasten » de Franz Posner et Adam Langer (1836-1919).
Conçu en 1894[xviii] par Franz Posner et propagé par Adam Langer[xix], l’appareil de Posner-Langer comprend vingt-six pièces de bois : deux cubes unités de base ; deux prismes à base carrée pour chacun des nombres 2 à 9, tous gradués ; sept dizaines graduées et une plaque de 50 divisée en dizaines par des lignes longitudinales (sans marque des unités). Les cinq unités inférieures des barres 6 à 10 sont de couleur rouge.[xx]
Cet outil privilégie la représentation de certaines relations : les décompositions additives de 5 et de 10 et les nombres 5+n jusqu’à 10. Cet appui sur le repère 5 est précieux dans notre système décimal. Il est pertinent d’autre part parce que des unités représentées analogiquement ne peuvent pas être saisies immédiatement au-delà de 3, d’autant moins lorsqu’elles sont en ligne ; le repère coloré de 5 permet donc de limiter le comptage un à un et de mettre chaque quantité en relation avec 5 (complément à 5 ou 5+n). Brissiaud s’appuiera lui-aussi sur le repère du 5 et introduira un repère intermédiaire du 3.
Le « Rechenkasten » de Wilhelm Müller
Le Rechenkasten de Wilhelm Müller (ou Mueller)[xxi], conçu en 1901, est constitué de 50, 60 ou 100 pièces[xxii] – barres ou cubes - disposées en gradins. Le haut des barres comporte l’écriture chiffrée du nombre représenté. Les barres sont divisées en cubes-unités par des rainures sombres. Les cubes qui les composent comportent une couleur (parmi cinq) sur une face[xxiii]. Je n’arrive pas à trouver l’information de l’attribution et de l’usage précis de ces couleurs. Puisqu’elles sont au nombre de cinq, il n’y en a sans doute pas une différente sur chacune des quatre faces visibles. Chaque couleur est-elle associée aux nombres de 1 à 5 (un peu comme dans les barres d’Artur Kern au milieu du 20ème siècle) ? C'est peu probable au vu de la barre centrale qui alterne manifestement les 5 couleurs tous les deux cubes. Sur le dessin, deux barres dressées sur le couvercle semblent en effet illustrer des décompositions de 10 : 5+5 et 2+2+2+2+2 (5x2). La barre de droite compte 11 cubes dont je ne discerne pas l’alternance des couleurs mais les trois cubes supérieurs sont manifestement décalés pour montrer qu’ils peuvent tourner et ainsi faire apparaître en couleur certaines décompositions d’un nombre.
Cet outil permet donc comme le précédent de mettre en relation, sur la barre elle-même, une quantité avec une autre. Mais ce sont ici toutes les relations qui peuvent être mises en valeur. Pour l’initiation au calcul, Brissiaud rappellera plus tard qu’il y a déjà 45 décompositions additives à deux termes et qu’il faut privilégier pour les premières années d’initiation, au-delà du nombre 5, les doubles (et doubles+1) ainsi que 5+n. Cet outil reste toutefois très intéressant, notamment pour les niveaux d’étude ultérieurs pour lequel il semble avoir été aussi destiné[xxiv].
Les « tiges de longueur » du « grand escalier » (barres numériques rouges et bleues) et les « barrettes de perles » colorées de l’Italienne Maria Montessori (1870-1952)
La médecin italienne Maria Montessori ouvrit dans un quartier pauvre de Rome une « Casa dei Bambini » en 1906 et publia son premier ouvrage pédagogique en 1909 : Il Metodo della Pedagogia Scientifica applicato all’educazione infantile nelle Case dei Bambini.
Elle conçut deux matériels importants dans l’histoire des barres de calcul : les « tiges du grand escalier », pour le premier âge, et les « barrettes de perles », pour les enfants de 7 à 11 ans.
Un autre de ses matériels, les barres rouges (non graduées), qui auraient pu être une adaptation des barres de Tillich, sont en fait utilisées non pas pour le calcul mais uniquement pour un travail sur les dimensions, comme les bâtonnets (gradués) d’Edouard Séguin[xxv] dont elles sont adaptées.
Les « tiges de longueur », représentent les nombres 1 à 10. Elles sont de section carrée de 2,5 cm de côté et peintes alternativement en rouge et en bleu tous les 10 cm.
Suivant le même principe que les barres de l’Allemand Wander, ces barres mettaient en valeur les unités qui composent la réglette. Il existe donc un risque de compter un à un sans réellement dénombrer la quantité et pouvoir la mettre en relation avec d’autres. Mais ce risque est atténué par l’objectif assigné par la pédagogue et par l’objet lui-même qui permet de manipuler des groupes d’unités, contrairement au comptage de groupes d’objets déplaçables :
« L’importance de ce matériel fondamental est qu’il donne une idée claire du nombre. En effet, quand un nombre est nommé il existe comme un objet, une unité par lui-même. […] Quand un enfant nous montre le 9, il manipule une barre inflexible – un objet complet en lui-même et pourtant composé de neuf parties égales qui peuvent être comptées. »[xxvi]
Certes Maria Montessori recommande de nommer successivement chaque barre présentée par ordre croissant en pointant ses parties : « un, deux : c’est deux » ; « un, deux, trois : c’est trois ». L’élève n’a donc pas théâtralisé oralement l’itération de l’unité (un et encore un : deux ; et encore un : trois) et n’a pas verbalement signifié que chaque quantité s’obtient en ajoutant 1 à la quantité précédente. Mais il ne s’est pourtant pas contenté de numéroter des cases et d’appliquer la règle dépourvue de signification du « dernier mot-nombre prononcé correspond à la quantité totale d'éléments ». Il a tout de même eu affaire à des quantités puisque l’éducatrice lui a désigné la barre qu’elle empoigne ou pointe du doigt et c’est cette barre tout entière qui compte 2 ou 3 unités. Cette barre est une nouvelle unité (« one united whole »). Ainsi pour ajouter 8 et 2 l’enfant prendra deux barres : l’une composées de 8 unités et l’autre de deux unités. Cette situation, écrit Maria Montessori, vaut bien mieux que celle consistant à faire compter un par un deux tas de cailloux sans que l’élève comprenne facilement qu’il vient d’ajouter 2 à 8, tout occupé qu’il était de faire défiler caillou après caillou.
Le « matériel des perles » colorées fut conçu après le « grand escalier », pour l’école élémentaire. Il suivait le même principe mais il était plus petit et fourni en assez d’exemplaires pour qu’un grand nombre d’enfants puissent effectuer en même temps le « travail avec les perles ».
Chaque boîte disponible pour un enfant comportait cinq jeux de ces barrettes. Une à dix perles en verre brillant étaient glissées sur des tiges métalliques recourbées aux extrémités. Chaque barrette possédait des perles d’une couleur distincte : 1, rouge ; 2, Vert ; 3, rose ; 4, jaune ; 5, bleu ciel ; 6, gris ; 7, blanc ; 8, violet/lavande ; 9, turquoise/bleu foncé[xxvii] ; 10, orange.
Je n’ai pas trouvé chez Montessori ou chez ses commentateurs de justification du choix de ces couleurs et de leur attribution. Pendant la 1ère Guerre mondiale (1917), les difficultés pour se fournir en certains pigments ont conduit Montessori à accepter d’autres couleurs : 1, or ; 2, vert-jaune ; 3, vert ; 4, rose ; 5, jaune ; 6, bleu clair ; 7, vert clair ; 8, blanc ; 9, bleu foncé ; 10, or. Quand on veut se procurer aujourd’hui des perles Montessori dans le commerce on trouve même encore d’autres couleurs (ci-contre). Les couleurs des perles ne jouaient donc pas de rôle d’illustration de relations entre les quantités mais servaient plutôt à distinguer les barrettes et à les identifier : « Petit à petit l’enfant cesse de compter les perles et reconnaît les nombres par leur couleur. Il sait que la bleue foncée c’est 9, la jaune 4, etc. Presque sans s’en rendre compte, il en vient à compter par couleurs plutôt que par quantités de perles et effectue ainsi des opérations réelles en calcul mental. »[xxviii]
Compter par couleurs plutôt que par quantités… On entrevoit le risque d’une telle méthode. Néanmoins par cette formule surprenante Maria Montessori insiste sur le fait que l’enfant ne compte plus une à une les unités de base qui composent les perles mais appréhende la nouvelle unité représentée par la barrette.
Par ailleurs Catherine Stern (voir plus bas), formée à la pédagogie Montessori, remarqua que lorsque les chaînes de perles étaient mises bout à bout, leur longueur excédait celle de la chaîne de perles représentant la somme des nombres, ce qui n’aidait pas à rendre visibles les relations entre les nombres[xxix]. C’est pourquoi elle les remplaça par des réglettes.
Mentionnons pour terminer, parmi les différents dispositifs à base de perles développés par Maria Montessori, les perles noires et blanches utilisées dans l’exercice du "serpent positif" pour travailler les compléments à 10. Ces barrettes de 1 à 9 perles comptent de 1 à 5 perles noires. De la 6ème à la 9ème perle la couleur est le blanc. Ces barrettes présentent l’intérêt de s’appuyer sur le repère 5 pour éviter de compter 1 à 1.
Les « nombres en couleur » du Belge George Cuisenaire (1891-1975).
Instituteur depuis 1911 et auteur d’ouvrages de pédagogie tels « Leçons promenades », il utilise après la Seconde guerre mondiale des bandelettes de carton coloré puis, en 1947, les premières réglettes en bois[xxx] dont la forme et la couleur seront fixées après maints essais dans la brochure « Les nombres en couleur » publiée en 1951. Le matériel, d’abord diffusé par la Maison Duculot (1951), sera grandement popularisé avec le concours de Caleb Gattegno à partir de 1953 et la fondation en Grande-Bretagne de la Cuisenaire Company la même année. Des associations Cuisenaire fleurirent dans le monde entier et le matériel est encore largement utilisé aujourd’hui.
On peut découvrir la méthode et une interview de son créateur ici : https://www.rts.ch/play/tv/redirect/detail/3459877
Les « nombres en couleur », pour éviter le comptage un à un, ne comportaient pas de marque des unités de base. Cuisenaire était ainsi sans doute le premier pédagogue à renouer avec l’intuition de Tillich. Mais chez Cuisenaire une couleur était associée par convention à chaque longueur de réglette afin de faciliter la mise en relation des quantités représentées. Cuisenaire, bon musicien, considérant qu’il y avait une analogie entre la musique et les nombres, s’était appuyé sur le fait qu’un tuyau d’orgue dont la largeur est le double d’un autre tuyau produit une note plus basse d’une octave. Il groupa alors les nombres en familles de doubles dans un but pédagogique. À chaque nombre était attribué une couleur, à la fois pour l’identifier et pour induire une relation avec un autre nombre :
Précisons que les défenseurs des « nombres en couleur » insistaient (parfois sans succès) sur le fait que les nombres n’étaient pas liés à telle ou telle réglette. Les premiers temps les élèves s’appuyaient uniquement sur les couleurs des réglettes pour mettre en rapport leurs longueurs respectives. Ensuite seulement étaient introduits les noms des quantités. Par ailleurs 8 pouvait être représenté par n’importe quelle réglette (non pas la marron mais la rouge ou la verte).
Et la forme linéaire n’était pas non plus érigée en absolu :
« Même si l’on fait 8 en partant de la réglette blanche prise comme unité, il est possible de donner à ce 8 une tout autre figure que linéaire :
[…Mais aussi] les 8 branches d’une rose des vents, les 8 côtés d’un octogone, les 8 pétales d’une dryade, les 8 croches d’une mesure à 4 temps, les 8… » (Samuel Roller, Bulletin Cuisenaire n°20)
L'avantage d’un tel matériel pour la compréhension des structures mathématiques et le passage vers l’abstraction était indéniable et l’essor des mathématiques modernes n’enrailla pas son développement, contrairement à celui des plaquettes Herbinière-Lebert[xxxi]. Rémi Brissiaud[xxxii] loua aussi en 1989 la capacité des réglettes Cuisenaire à faire anticiper aux élèves les relations entre les quantités et à vérifier eux-mêmes ces relations.
En revanche Brissiaud jugea, à la suite de Piaget, que « la façon dont ces relations sont apprises est très dépendante de la pédagogie de l’enseignant : le risque est grand que cet apprentissage résulte d’une simple mémorisation liée à l’apprentissage du code de couleurs, à force de répétitions, plutôt qu’il ne résulte des mises en relation (...) » Brissiaud vit un risque plus grand encore avec les enfants de maternelle : confrontés à des réglettes non-divisées en unités ils peuvent seulement comparer une réglette « 7 » avec sept unités mises bout à bout, ce qui est moins clair. Et le nom des réglettes ajoute à la difficulté car, la notion de longueur étant introduite dans le cursus après l’étude des premiers nombres, Cuisenaire nommait « réglette 7 » la réglette longue de 7 cubes unités. Brissiaud conclut que l’usage de ce matériel en grande section de maternelle « suppose l’accès à des conventions difficiles à construire avec de jeunes enfants. » Il leur préféra des réglettes qui sont des « collections témoins organisées » plutôt que des longueurs, quitte à trouver d’autres solutions pour éviter le comptage 1 à 1.
Concernant les couleurs des réglettes, le Britannique Seton Pollock jugea en 1961 que leur attribution devait manifester plus rigoureusement les relations mathématiques entre les nombres. En effet les “familles” de couleur étaient définies par Cuisenaire à partir « d’une couleur-clé sans égard pour aucun autre composant dans la couleur résultante. Ainsi deux verts se trouvent dans la famille bleue (produits par l’ajout de jaune au bleu). Un brun se trouve dans la famille rouge (produit par l’ajout de bleu et de jaune au rouge). Un orange se trouve dans la famille jaune (produit par l’ajout de rouge au jaune). » [xxxiii]
Cette imperfection dans l’illustration des relations entre les quantités renforce peut-être le risque inhérent à des réglettes aux unités de base non marquées : ce sont parfois les couleurs de chaque réglette qui sont apprises par cœur et mises en relation par simple entraînement avec d’autres couleurs plutôt que les quantités et la compréhension de leurs relations.
Notons pour finir deux déclinaisons intéressantes des réglettes Cuisenaire pour les aveugles :
Les « Rods » de l’États-unien Frank P. Belcastro
Les réglettes de Belcastro, créées probablement en 1989, sont identiques aux réglettes Cuisenaire à ceci près qu’elles ne sont pas des « nombres en couleur » mais pour ainsi dire des « nombres en texture » : les couleurs sont remplacées par « des rainures longitudinales, des rainures horizontales et des trous. Les réglettes de longueur de base 2, 4 et 8 ont des rainures longitudinales. Des rainures horizontales se trouvent sur les tiges de longueur de base 3, 6 et 9. Les tiges représentant 5 et 10 sont percées de trous. Les tiges pour 1 et 7 n'ont pas de marques mais se distinguent en raison de la grande différence de longueur. » Ce matériel était destiné aux élèves avec déficience visuelle. [*]
Les réglettes des Espagnols Francisco Soto Iborra et Bernardo Gómez
Pour faciliter les manipulations et les assemblages de réglettes par des enfants aveugles Soto Iborra et Gómez, enseignants de didactique des mathématiques, remplacèrent le bois des réglettes par du fer et faisaient travailler les enfants sur une table recouverte d’une plaque magnétique. Les doigts remplaçaient les yeux et des textures gravées remplaçaient les couleurs.
Le compte-rendu de l’utilisation expérimentale de ces réglettes fut publié en 1987 dans un article qui restitue parfaitement l’intérêt de réglettes indivises comme celles de Cuisenaire.
« Une première possibilité était de les subdiviser au moyen de rainures ou de reliefs en autant de parties que de centimètres mesurés. Mais cette solution éliminait le caractère de longueur continue des bandes et les contraignait également à n'être qu'un ensemble d'unités (comme c’est le cas dans les blocs multibases de Diènes). Le 7 serait alors 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 et rien de plus, ce qui ne facilite pas l’accès à toutes les décompositions de 7 qui survient spontanément en l’absence de subdivisions en centimètres. Il ne faut pas oublier qu'une caractéristique importante des réglettes est qu'avec elles chaque nombre « est construit de manière opératoire et peut être obtenu à partir d'autres nombres » (Goutard, 1964, 58). »
Les réglettes recevaient trois types de « gravures en bas-relief (encoches) » :
« une gamme de fentes longitudinales, une, deux ou trois pour le vert clair, le vert foncé et le bleu ; une gamme de points plus ou moins séparés, pour le rouge, le rose et le brun ; et une gamme de fentes transversales, également plus ou moins séparées, pour le jaune et l'orange. Le noir, conséquence logique de tout ce qui précède, absence de couleur, n'a pas été gravé mais laissé lisse. La seule difficulté que nous n'avons pas pu surmonter était celle du blanc, qui devrait être un mélange de toutes les gammes précédentes. Face à l'impossibilité de retrouver une texture synthétique des autres, nous avons décidé que puisqu'il s'agit d'une situation exceptionnelle (comme celle du noir, bien qu'à l'inverse) nous lui donnerions le même traitement : sans gravure, sûrs que nous étions de l’impossible confusion entre blanc et noir en vertu leur grande différence de longueur. »
Trois Britanniques entreprirent de rationnaliser le système des couleurs de Cuisenaire : Seton Pollock, MacFarlane Smith et Clegg. Seul Seton Pollock diffusa sa méthode avec un certain succès.
Le « Novel System of Numerical Representation » du Britannique Ian MacFarlane Smith
Le psychologue Ian Macfarlane Smith s’inscrit lui-même dans la lignée de Seguin, Montessori, Stern et Cuisenaire. Auteur de tests de capacité spatiale, persuadé de l’importance d’aides visuelles pour l’enseignement des mathématiques, il entend améliorer le système de Cuisenaire qui présente comme défaut principal de regrouper les nombres au sein de familles sans leur attribuer une teinte semblable. MacFarlane Smith propose en 1956 :
Selon cette méthode, 0 est noir, 1 gris, 2 rouge foncé, 3 vert foncé, 4 rouge, 5 orange, 6 vert, 7 bleu, 8 rouge clair, 9 vermillon, 10 orange, 11 jaune clair, douze vert clair. Les nombres sont ainsi liés par le facteur 2 (doubles, moitiés, quadruples) plus clairement que le fit Cuisenaire (d’autant que ce dernier avait associé 9 à 3 et 6).
Les « Colour factor blocks du Britannique Algernon Frederick Seton Pollock (1910-1983) »
Les blocs[xxxiv] de l'avocat Seton Pollock reprennent en 1961 le procédé de Cuisenaire en modifiant l’attribution des couleurs : les dix réglettes (douze en Grande-Bretagne du fait du système de monnaie et de mesure) étaient regroupées par couleur selon leurs relations factorielles. Tous les multiples de 2 (2, 4, 6, 8, 10) contiennent la couleur primaire rouge, les multiples de 3 (3, 6, 9) du bleu et les multiples de 5 (5, 10) du jaune. Le 1 est incolore et le 7 gris. Au sein de chaque famille les nuances de couleur vont du plus clair au plus foncé. Il faut lire le brevet d’invention pour prendre la mesure de la rigueur raffinée du système de couleurs
Ce système est exposé aux mêmes risques que celui de Cuisenaire mais il est tout de même réputé plus rigoureux dans l’illustration colorée des relations entre les quantités[xxxv] et permet donc théoriquement une entrée plus claire dans le nombre comme relation entre des quantités.
Sans doute les élèves retenaient-ils ici moins facilement la valeur associée à chacune de ces nuances pastel qui ne frappent pas l’œil ; mais cela pouvait être un avantage : ce sont les rapports entre quantités que les élèves pouvaient sans doute retenir le plus facilement et ils pouvaient appréhender la quantité en comparant les longueurs et les nuances de couleurs. Ce système était donc un compromis habile entre l’aride pureté des barres d’Ernst Tillich (que Pollock estimait favorablement) et le chatoiement des réglettes Cuisenaire.
Une critique possible de ce matériel pour la première initiation aux nombres est qu’il ne privilégie pas les décompositions additives considérées par Rémi Brissiaud, sans doute à juste titre, comme fondamentales pour la compréhension des premiers nombres : doubles (et doubles+1) et 5+n.
L’ « Apparatus for teaching or studying mathematics » du Britannique Gerald Alexander Clegg
Gerald Alexander Clegg juge le mélange de couleurs de Seton Pollock à la fois romantique et compliqué. Romantique car il ne voit pas ce qu’il y a de mathématique à établir une analogie entre un mélange de couleurs et la multiplication, d’autant que les proportions de chaque couleur dans le mélange obtenu ne tiennent pas compte du ratio des facteurs premiers représentés par ces couleurs. Compliqué car les élèves ne pourraient pas en pratique, selon lui, s’appuyer sur ces trop nombreuses couleurs et mélanges pour se représenter les relations entre quantités ; ils auraient tendance à seulement identifier chaque quantité à la couleur de la réglette, et encore avec difficulté vu les nuances de couleur choisies par Seton Pollock (ce que je trouve pour ma part plutôt un avantage de ce point de vue car forçant à revenir aux relations).
En 1980 Clegg adopte donc un « registre de relations » ou « code de relations » qui ne mélange pas les couleurs mais les juxtapose : des bandes colorées sur la largeur de chaque réglette représentent les facteurs premiers.
Les couleurs choisies importent peu pour Clegg tant qu’elles se distinguent bien les unes des autres puisqu’elles ne visent qu’à identifier un facteur premier.
Pour les réglettes qui représentent un nombre ayant plusieurs facteurs premiers, Clegg attribue à chaque bande colorée une hauteur proportionnelle à la grandeur des puissances du facteur. Par exemple : 10=21x51. Le ratio est ici 1:1 donc les deux bandes se partagent également l’espace. 12=22x31. Le ratio est ici 2:1. Donc la bande violette (associée par exemple à 3) occupera un tiers de la surface tandis que la bande verte (couleur associée par exemple à 2) occupera les deux tiers de la surface.
Le cube unité est entièrement blanc.
Les réglettes représentant un nombre qui n’a qu’un seul facteur premier ne comportent qu’une seule couleur sur toutes leurs faces hormis sur celles carrés aux deux extrémités du prisme qui sont toujours blanches ou neutres.
Les réglettes représentant un nombre ayant deux facteurs premiers comportent le « registre de relations » (deux bandes colorées) sur deux faces opposées tandis que les deux autres faces sont chacune d’une des deux couleurs.
Les réglettes représentant un nombre ayant trois facteurs premiers comportent le « registre de relations » (trois bandes colorées) sur une face tandis que les trois autres faces sont chacune d’une des trois couleurs.
Je ne sais pas si ce dispositif, dont je ne connais que le brevet d’invention, a jamais été commercialisé ou même diffusé. Gerald Alexander Clegg avait aussi inventé un dispositif analogue pour enseigner les fractions.
Les « Reglets » de l'Espagnole María Antonia Canals (1930-2022)
María-Antonia Canals fut scolarisée dans l’école de ses tantes qui avaient introduit pour la première fois en Catalogne la pédagogie Montessori. Après avoir enseigné dans différentes écoles elle créa seule une école en 1962 dans un quartier de population immigrée et agrégea à son œuvre de nombreux enseignants. Elle ne cessa depuis lors de former des enseignants, notamment à l’université, et de susciter des associations d’enseignants. Retraitée depuis 2001, elle est professeure émérite de l’Université de Gérone où elle a fondé le GAMAR (Gabinet de Materials i de Recerca per la Mattemàtica a l’escola). L’association des maîtres Rosa Sensat a ouvert en 2014 à Barcelone un « Centre d’Activitats i d’Àmbit de Reflexió per l’Educació Matemàtica (CAÀREM) de Maria Antònia Canals » sur le modèle du GAMAR.
Disciple de Montessori, elle en modifia progressivement la pédagogie, notamment ce qui concerne le « travail des perles ».[i]
En 1970 elle observe, comme Catherine Stern, que la longueur de deux barrettes de 3 et 5 perles juxtaposées n’était pas la même que celle d’une barrette de 8 perles mais plutôt celle d’une barrette de 9 perles à cause des boucles métalliques bloquant les perles aux extrémités de la réglette. De ce point de vue, le matériel Montessori ne facilitait pas l’addition et la mise en relation des quantités. Les élèves devaient contourner la difficulté en comptant les perles une à une. Canals se tourne donc vers les réglettes Cuisenaire qui présentent l’avantage d’être juxtaposables et non-graduées. Elle finit par changer les couleurs, pour des questions de propriété intellectuelle d’après ce que je comprends, mais aussi manifestement pour mettre en valeur les relations factorielles entre les nombres. Elle réserve l’usage de ces réglettes non-graduées aux enfant d’école élémentaire car elle considère que les plus petits comprennent difficilement que le cube unité de base soit représenté par une réglette et que la réglette longue de deux ou trois cubes soit aussi une seule réglette indivise. On retrouve ici la critique faite à Tillich à l’époque de la création des premières barres de calcul, que Canals reprend à son compte uniquement pour les premières années d’apprentissage (correspondant à notre école maternelle).
A la même période María-Antonia Canals découvre avec enthousiasme les « blocs logiques » et les « blocs multibase » du Hongrois Zoltán Pál Dienes. Les blocs de base 10 du mathématicien comprennent des cubes-unité, des barres de 10 graduées, des plaques carrées de 100 (10 réglettes de 10) graduées et des cubes de 1000 (10 plaques de 100 superposées) gradués.
Canals entreprend de tirer parti à la fois du matériel Cuisenaire et du matériel Dienes en les unifiant à sa manière. Aux réglettes recoloriées elle ajoute des plaques carrées représentant le carré de chaque nombre et des cubes représentant le cube de chaque nombre, chacun de la même couleur que le radicande et entièrement lisse, sans marque des unités.
Les réglettes de Canals, conçues sans doute une trentaine d’années auparavant, ne sont éditées qu’en 2003 par Ardidac et diffusées uniquement en Espagne. Une publication leur est entièrement dédiée en 2011[ii].
L’originalité principale du matériel de M.A. Canals tient donc à l’ajout des carrés et des cubes. Les réglettes de Maria-Antonia Canals s’inscrivent dans la lignée de celles de Cuisenaire car elles ne comportent pas de marque des unités de base, elles attribuent une couleur distincte à chaque quantité et elles représentent certaines mises en relation de ces quantités par la proximité des couleurs.
Comme Seton Pollock dont elle ne parle pas, Canals met en valeur les relations factorielles auxquelles correspondent des familles de couleur similaires hormis l’étrange choix de couleur pour les multiples de 5 (vert, donc composite) et pour le 7 (jaune, qui entre dans la composition du vert…).
Les réglettes mesurent 1 cm2 de section.
[i] L’essentiel de mes informations vient de : María Sotos Serrano, Didáctica de las matemáticas y desarrollo profesional de una maestra. El caso de Maria Antònia Canals i Tolosa, Thèse doctorale, Faculté d’éducation de l’Université de Salamanque, 2015. Pages 183, 187 et annexes.
[ii] María-Antonia Canals, Las Regletas, Associacío de Mestres Rosa Sensat, « Los dossiers de María-Antonia Canals » 110, Barcelona, 2011. [Il existe une version en catalan].
Les « number blocks » de l’Américaine d’origine allemande Catherine Stern, née Käthe Brieger (1894-1973).
Contemporains des réglettes Cuisenaire, les blocs de Stern utilisaient deux procédés simultanément : une couleur distincte pour chaque réglette et la marque des unités composant chaque réglette. Était-ce une solution aux problèmes respectifs des matériels Montessori et Cuisenaire ?
Docteure en physique, Käthe Brieger épousa en 1919 Rudolf Stern. Käthe Stern se forma à la méthode Montessori de 1921 à 1923 puis elle ouvrit le premier jardin d’enfant Montessori à Breslau en Allemagne (aujourd’hui Wroclaw, Pologne) en 1924. Le jardin d’enfant accueillit après l’école des enfants plus âgés et devint aussi un centre de formation d’enseignants. Quand elle dirigeait le jardin d’enfant elle écrivit des articles et publia trois livres (1932 et 1933) présentant sa « pédagogie Montessori étendue » en lien avec les dernières découverts en psychologie de l’enfant et avec les principes de Fröbel. Luthérienne d’ascendance juive, elle dut renoncer à sa fonction en 1934 à cause du régime nazi. C’est alors qu’elle conçut ses premiers matériels de lecture et d’arithmétique[xxxvi], à commencer par les blocs de calcul pour remplacer les chaînes de perles montessoriennes. Quand les perles montessoriennes étaient mises bout à bout, leur longueur excédait celle de la chaîne de perles représentant la somme des nombres, ce qui n’aidait pas à rendre visibles les relations entre les nombres[xxxvii]. Assembler des cubes fut la solution de Catherine Stern. Elle avait d’abord utilisé des réglettes non-colorées[xxxviii] et les enfants devaient alors compter les unités pour distinguer les réglettes les plus longues. Elle jugea préférable d’attribuer une couleur à chaque réglette pour que chacune soit immédiatement reconnue. Ce fut Leo Hendrik Baekeland, l’inventeur de la Bakélite (précurseur du plastique) qui lui fabriqua des blocs de couleur et un rail numérique dans lequel les blocs pouvaient être mesurés[xxxix]. En 1934, à l’invitation des jardins d’enfants suisses, Käthe Stern est réputée avoir présenté pour la première fois son matériel mathématique[xl]. Dans le cadre de la « 5ème formation avancée pour les institutrices de jardin d'enfants »[xli], du 4 au 13 octobre à Berne, elle donna une conférence sur « La méthode Montessori et le système Montessori étendu »[xlii].
Après une première tentative d’émigration en France en 1933[xliii], c’est finalement aux États-Unis qu’elle s’exila en 1938. Elle y développa encore son matériel à la Windward School (White Plains, Etat de New-York). En 1939 Max Wertheimer (un des fondateurs de la Gestaltpsychologie) lui écrivit combien il appréciait ses méthodes concrètes d’enseignement de l’arithmétique[xliv]. Catherine Stern devint son assistante de recherche de 1940 à 1943 (mort de Wertheimer). C’est en lien avec les travaux de Wertheimer que Catherine Stern donna à sa méthode le nom d’« arithmétique structurelle ». En 1944 Stern fonda la Castle School. Elle présenta sa méthode et son matériel d’enseignement en 1949 dans : Children Discover Arithmetic[xlv]. Son matériel fut distribué aux Etats-Unis à partir de 1950 par Houghton Mifflin et rapidement en Grande Bretagne[xlvi] (où il disparut au milieu des années 1980[xlvii] mais fut redécouvert dix ans plus tard par les créateurs de Numicon qui empruntèrent largement le matériel mais remplacèrent notamment les blocs par les réglettes Cuisenaire). Aux Etats-Unis la famille de Catherine Stern continue de former des enseignants et de distribuer son matériel[xlviii].
Catherine Stern avait d’abord utilisé des réglettes non-colorées dont les enfants comptaient les unités pour distinguer les réglettes les plus longues. Elle jugea préférable d’attribuer une couleur à chaque réglette pour que chacune soit immédiatement reconnue. Elle fit l’expérience que les enfants ne faisaient pas de confusion entre les couleurs et les quantités qui leur étaient associées. Afin de s’en assurer elle n’utilisait pas forcément les mêmes couleurs pour son autre matériel phare : les « pattern boards »[xlix] (planchettes trouées pour recevoir des cubes-unités selon une organisation spatiale identique à celle des plaquettes Herbinière-Lebert qui groupe les unités par deux).
Certes les couleurs des réglettes n’illustrent pas des relations entre les quantités représentées mais permettent seulement de bien distinguer les réglettes entre elles et particulièrement deux réglettes de longueur proche. Il semble pourtant que le matériel échappe au risque d’un simple apprentissage de correspondances entre couleurs. D’une part c’est la visée explicite constante de Catherine Stern d’enseigner la structure des nombres. D’autre part sur chaque réglette sont représentées les unités qui la composent. Enfin, la compréhension des nombres se fait en parallèle avec les « pattern boards » qui organisent différemment les collections témoins, avec le même objectif de mettre en relation les quantités. L’élève ne photographie donc pas des couleurs ou des organisations spatiales mais il accède par des représentations analogiques distinctes aux mêmes rapports entre des quantités.
Certes l’élève pourrait se contenter de compter les cubes composant chaque réglette. Mais la couleur permet d’identifier plus rapidement la réglette et le comptage n’intervient qu’en vérification éventuelle. Par ailleurs il vient en un deuxième temps dans la démarche didactique de Stern. Les premiers exercices avec de tout jeunes enfants se font au moyen d’une planche dans laquelle sont creusées des rigoles graduées pouvant accueillir les réglettes ordonnées de 1 à 10. L’enfant apprend à faire correspondre les réglettes avec les rigoles de longueur identique sans passer par le comptage ni le nom des nombres mais seulement par la comparaison sensible des longueurs. Plus tard les enfants utilisent un rail numérique (number track) dans lequel les réglettes sont mesurées sans compter un à un.
Pour autant que je puisse en juger théoriquement, l’alliance de la couleur, de la graduation et d’une autre représentation analogique est très pertinente au regard des écueils qu’on peut rencontrer en utilisant des réglettes et l’invention de Catherine Stern est sans doute la plus proche de ce que proposera plus tard Rémi Brissiaud.
La société « Friedrich Ernst Fischer, Fournitures scolaires et aides pédagogiques » publia, sans doute après la seconde guerre mondiale, des outils didactiques et manuels d’un groupe d’enseignants de Dresde (Die Pädagogische Arbeitsgemeinschaft der Fachgruppe Dresdner Lehrer). Le premier outil en photo ci-dessous s’appuyait sur des collections témoins organisées autour du repère 3 pour initier au calcul les enfants de première et deuxième année. Le second, qui nous intéresse ici, reprend le principe des barres de Tillich en marquant les séparations entre unités sur une seule face par une incision très légère, à peine perceptible à moins de jouer avec la lumière du jour. Sans doute était-ce une solution pour permettre aux élèves de s’appuyer d’abord sur des rapports de longueur et pour réserver la face graduée à l’accès aux quantités discrètes et à la vérification.
D’autres outils plus récents ont adopté cette solution de marquer les unités de base sur une seule face mais de façon moins subtile si bien que l’élève, risque de retourner les barres pour rendre cette face visible à la moindre difficulté et donc de compter 1 à 1. Le propre petit-fils de George Cuisenaire a adopté cette solution dans ses « Nombres en couleur » édités par Gai savoir.
La « bûchette d’or » de la Française Paulette Calcia (1904-1985)
Matériel méconnu, les bûchettes de Paulette Calcia furent inventées en 1959 « pour l’enseignement des quatre règles d’arithmétique, pour la formation et la décomposition des nombres dans les grandes sections maternelles et les cours préparatoires »[l]. Ce matériel apporte une solution intéressante en permettant de visualiser successivement plusieurs représentations du nombre : deux faces opposées étaient graduées, une autre donnait l’écriture chiffrée du nombre, une dernière était vide, « de manière à ce que l’éducateur puisse s’assurer d’une part que l’enfant se représente bien les unités, à la vue des faces graduées […] et d’autre part que l’enfant est capable de décomposer les chiffres, à la vue de la face numérotée […] et enfin que l’enfant est apte à évaluer les grandeurs à la vue de la face vierge […] de chaque bûchette. » (Cf. brevet[li] de 1967 précisant celui de 1959[lii]).
« Pour les écoles maternelles, il est recommandé de se servir d’abord de la face unie, ensuite de la surface graduée, en troisième lieu de la surface chiffrée. » (Cf. notice)
Je regrette l’utilisation quelque peu passive de la Bûchette d’or, préconisée par Paulette Calcia dans son deuxième brevet d’invention, qui ne met pas en valeur l’anticipation par l’élève du résultat d’un calcul et omet de présenter l’intérêt du matériel comme outil de validation de cette anticipation et de sa stratégie : « On apprend à l’enfant à reconnaître le bâtonnet d’après le nombre de cases qu’il comporte. L’enfant peut faire une addition élémentaire ; par exemple pour additionner 3 et 4, il choisit les bâtonnets 3 et 4 qu’on lui a indiqués comme représentant respectivement les nombres 3 et 4. Il les met bout à bout et voit que l’addition de ces deux bâtonnets donne le chiffre 7. »
En revanche, certaines graduations des bâtonnets Calcia permettent avec bonheur de reconnaître les nombres en s’appuyant sur la reconnaissance rapide de certaines de leurs décompositions plutôt que sur le comptage 1 à 1 : « Pour mieux repérer certaines graduations caractéristiques et permettre à l’enfant de mieux compter, certains traits départageant les cases sont plus renforcés et plus longs, c’est ainsi pour les graduations du milieu des chiffres pairs 4, 6, 8 et 10. Dans le cas du chiffre 9 représenté par le bâtonnet comportant neuf cases, ce sont les graduations départageant le bâtonnet en trois parties égales qui sont renforcées. »
Le « Rechenkasten » d’Artur Kern (1902-1988)
Artur Kern, d’abord auteur d’ouvrages sur l’orthographe et la lecture, présenta son matériel de calcul en 1955[liii]. Familier des travaux de Piaget, Gattegno et Stern, il choisit pour ses barres colorées de représenter la décomposition de chaque nombre en facteurs 2, 3, 4, ou 5 (ou en somme de nombres identiques et du complément)[liv] par l’alternance de couleurs sur chacune des quatre faces rectangulaires des barres (par exemple 8 est décomposé en : 2+2+2+2 ; 3+3+2 ; 4+4 ; 5+3 ; cette décomposition est représentée par l’alternance des nuances foncée et claire de la couleur attribuée à chacun des facteurs). D’autre part la face carrée supérieure de chaque barre est colorée de la couleur du plus grand diviseur strict du nombre représenté (par exemple : 8 est de la couleur de 4 ; 9 de la couleur de 3 ; 7 est incolore).
Les barres sont fabriquées en bois clair avec des rainures entre les cubes-unités de base. En plus des dix barres colorées, des barres longues de 1 à 5 cubes sont de couleur naturelle. Elles servent notamment pour représenter les soustractions. Il y a 33 pièces au total qui comptent en tout 100 cubes.
Les barres comptent quatre familles de couleur (bleu, jaune, vert, rouge) et deux nuances par couleur (foncé et clair) :
Les faces des barres sont colorées comme suit :
Kern fit un choix similaire à celui de Posner et Langer, Müller, Cuisenaire, Seton Pollock et - dans une certaine mesure – Calcia : celui de mettre en relation, sur la barre elle-même, une quantité avec une autre. Il se rapproche sans doute plus de Müller par sa volonté de représenter un grand nombre de décompositions.
Son matériel échappe donc parfaitement à la critique de Rémi Brissiaud concernant les réglettes indivises de Cuisenaire pour des enfants de grande section de maternelle. Nul besoin ici de « conventions difficiles à construire avec de jeunes enfants » puisque il est inutile de comparer une réglette « 7 » avec sept unités mises bout à bout. Et pour autant l’enfant n’est pas conduit par le matériel à compter 1 à 1 mais il est constamment renvoyé à des relations. Je me demande toutefois comment le Rechankasten de Kern favorisait l’anticipation, puisqu’un pédagogue non averti pouvait se contenter de faire constater aux enfants les relations représentées sur la barre.
Les « réglettes avec cache » du Français Rémi Brissiaud (1949-2020)
Les réglettes avec cache ont été décrites par Rémi Brissiaud en 1989 dans Comment les enfants apprennent à calculer et éditées la même année par Retz. Elles sont constituées de petits carrés en carton de 2cm sur 2 cm pointés en leur centre. Ces unités sont juxtaposées pour former des réglettes de 2 à 10 carrés. Des « caches » en carton permettent de masquer 5 points d’une réglette. Un autre jeu de réglettes contient aussi 10 réglettes mais les 5 premiers points sont d’emblée masqués par un cache. On appelle ces dernières « réglettes avec cache ».
Le matériel pour 6 élèves comprend : 110 carrés unités, 4 jeux de réglettes sans cache contenant chacun dix réglettes qui correspondent respectivement aux nombres de un à dix, 6 jeux de réglettes sur lesquelles une suite de cinq unités est remplacée par un cache, 28 caches de cinq, 8 réglettes de dix constituées par la juxtaposition de deux caches de cinq.
Ce matériel permet de s’appuyer sur le groupement de 5, comme les mains, pour reconnaître rapidement un nombre. Il permet aussi de mettre en relation des quantités plutôt que de compter 1 à 1. Par exemple : une réglette de 6 avec cache (5 points cachés et 1 visible) et une réglette de 2 peuvent être analysées comme 5+3=8.
Comme avec les autres réglettes on peut schématiser les relations numériques, anticiper et vérifier en posant la réglette correspondante sous d’autres réglettes juxtaposées. Mais ici l’enfant est amené plus explicitement à pratiquer un « calcul pensé ». Brissiaud donne l’exemple d’un élève qui chercherait à savoir ce qu’il faut ajouter à 3 pour avoir 7.
Les réglettes avec cache permettent deux schématisations dont la solution ne s’obtient pas tout de suite en comptant 1 à 1. A gauche il faut chercher le complément à 5 et ajouter 2 ; à droite il faut chercher ce qui reste quand on retire 1 à 5.
Rémi Brissiaud n’avait sans doute pas trouvé là la solution définitive aux problèmes qu’il cherchait à résoudre. C’est pourquoi les réglettes avec cache furent remplacées ultérieurement, par les « boîtes de Picbille ».
Les « boîtes de Picbille » de Rémi Brissiaud
Les « boîtes de Picbille » ne peuvent pas être qualifiées strictement de réglettes au sens des outils précédemment évoqués car ce sont des boîtes compartimentées de longueur identique dans lesquelles sont placées des jetons déplaçables. J’en parle tout de même au titre d’évolution des « réglettes avec cache » de Rémi Brissiaud (qu’elles ont remplacées) et d’ancêtre revendiqué des « Noums » du même Brissiaud.
Associées au manuel de mathématique « J’apprends les maths avec Picbille » (niveaux CP, CE1, CE2), édité pour la première fois par Retz en 2001[lv], les « boîtes de Picbille » (autrement nommées « boîtes de Tchou » dans l’autre version du manuel de mathématiques) sont des boîtes en plastique munies de 10 compartiments carrés alignés dans lesquels des jetons peuvent être déposés, elles disposent de deux caches qui sont refermés aussitôt que cinq jetons sont disposés à la suite les uns des autres. Les « noums » adopteront ce dispositif de cache et de dévoilement : au moyen d’une « radio » les noums dévoilent les unités qui les composent.
Dans la version initiale des boîtes de Picbille, les deux compartiments de 5 cases étaient dissociables, ce qui occasionnait des confusions chez certains élèves entre une boîte de 10 et une boîte de 5. Brissiaud réunît donc les deux boîtes en 2012 en séparant les deux compartiments avec un repère noir. A la même date le système de fermeture des couvercles permit aussi de repérer la 3ème case de chaque compartiment (là où un décrochage permet de placer le pouce pour ouvrir le couvercle) et de s’appuyer sur le repère 3 (limite de la quantité d’objets perceptible immédiatement) pour représenter 5.
Quel avantage les boîtes de Picbille présentent-elles par rapport aux réglettes avec caches ? Elles facilitent sans doute le procédé pédagogique de « simulation mentale d’un ajout (ou d’un retrait) que l’enseignant réalise de manière masquée »[lvi]. Brissiaud est convaincu que « en arithmétique, les enfants progressent en réfléchissant des actions telles que l’ajout et le retrait ». Le matériel et son usage doivent donc « souligner le rôle crucial de ces actions. » Une situation de calcul réfléchi présentée dans la notice met en lumière ce procédé : « Je mets 7 jetons dans la boîte. Imaginez ce que je fais… Combien y a-t-il de cases vides ? » (Phase d’anticipation) « Il y a 7 jetons dans la boîte : 5 sous le couvercle, 2 ici, et 3 cases vides. » (Phase de vérification).
L’emploi des jetons déplaçables renforce-t-il l’action par rapport à l’emploi des réglettes ? L’emploi de deux caches renforce en tout cas la simulation mentale. De ce point de vue le même objectif aurait sans doute pu être atteint avec des réglettes insérées dans un rail avec caches (cette invention avait d'ailleurs été déposée à l'I.N.P.I. par Brissiaud en 1986 dans son "dispositif pour enseigner les concepts arithmétiques" dont les "réglettes avec cache" sont une application).
Mais l’emploi de jetons présente tout de même un avantage si l’élève doit anticiper comment une collection de jetons inorganisée remplira ses boîtes de Picbille (Cf. la deuxième situation de l’activité décrite dans la notice : « Les jetons sont en dehors des boîtes : Combien y aura-t-il de boîtes pleines et de jetons isolés ? ») Les enfants groupent les jetons par 10 et ceux qu’on ne peut pas grouper par 10 sont disposés comme sur les points d’un dé à l’aide du groupement intermédiaire de 5 qu’on retrouve aussi dans les boîtes. Brissiaud ne précise pas comment se fait le groupement par 10. On peut penser qu’il utilise aussi le groupement par 5 en s’aidant de la collection témoin des points du dé, mentalement d’abord pour les plus experts, puis éventuellement en déplaçant les jetons.
En effet, comme le dit ailleurs Rémi Brissiaud, l’élève doit aussi apprendre à organiser lui-même les collections en s’aidant de l’organisation figurale des collections témoins conventionnelles. Rémi Brissiaud considère en effet que, pour accéder à une organisation mentale des nombres, l’enfant doit s’appuyer sur une organisation figurale mais aussi la dépasser, non seulement en variant les organisations figurales (doigts de la main, dés, Herbinière-Lebert, etc.) mais aussi en organisant lui-même des groupements. Il donne l’exemple de ces deux collections :
« Ces collections ne sont pas organisées de manière classique et pourtant, dès qu’un enfant analyse chacune de ces figures comme ayant 4 points sur la gauche et 1 point sur la droite, ou bien encore comme ayant 3 points en haut et 2 points en bas, il faut considérer ces collections comme des collections organisées[lvii]. En effet, le mot « organisé » renvoie avant tout à une organisation mentale et c’est en variant l’organisation figurale que l’enfant accède à l’organisation mentale, jusqu’à analyser ainsi des collections qui n’ont plus aucune organisation figurale, l’enfant formant lui-même les groupements. Ainsi, si l’on voulait être précis, il faudrait parler de collections dont l’enfant sait analyser l’organisation figurale pour, dans un second temps, utiliser cette organisation alors qu’elle n’est plus prégnante de façon figurale. »[lviii]
Les « noums » de Rémi Brissiaud (2ème partie)
Présentons maintenant en détail les caractéristiques des « noums » de Rémi Brissiaud.
Le rôle des collections-témoins organisées autour du repère 5.
La première nouveauté des « noums » par rapport aux réglettes précédentes est la représentation des quantités par des collections-témoins organisées autour du repère 5. Ces représentations sont mises en valeur sur les « noums » de telle sorte que les décompositions privilégiées visuellement par les réglettes en elles-mêmes sont les décompositions 5+n, à la différence de celles privilégiées par Cuisenaire (doubles) et Pollock (multiples).
Brissiaud précise : « On remarquera que les noums 1, 2, 3 et 4 se reconnaissent facilement parce que le noum 1 a 1 œil, le noum 2 a 2 yeux, etc. Les noums 5 et 10 se reconnaissent par leurs couleurs : gris et noir. Enfin le grand noum avec 1 œil est le noum 5+1=6, le grand noum avec 2 yeux est le noum 5+2=7, etc. Contrairement à ce qui se passe avec le matériel Cuisenaire, un lent apprentissage du code de couleurs n’est pas ici nécessaire. »[lix]
Ajoutons que les « noums » 3, 5, 8 et 10 n’ont pas des yeux semblables, au contraire des autres « noums ».
- Le « noum » 5 a un seul œil, qui est fermé[lx] car il est le repère sur lequel s’appuie les nombres représentés par les « noums » 6 à 10.
- Le « noum » 10 ouvre un grand œil central entouré de 9 petits yeux ouverts : il me semble que ce grand œil ouvert fait écho à l’œil fermé du « noum » 5 comme pour signifier que le repère du 5 prépare le repère du 10. Dessiner un grand œil central sur le « noum » 10 c’est aussi signifier que 10 est une nouvelle unité et un repère fondamental pour les nombres supérieurs. Quant au choix de dessiner 9 autres yeux plus petits en couronne plutôt que de continuer à s’appuyer sur le repère du 5, c’est peut-être encore pour manifester que 10 est un nouveau repère.
- 3 et 8 ont les yeux fermés car ils sont des repères intermédiaires à 5 et 10. Dans l’introduction à l’édition 2016 de sa méthode « Picbille[lxi] », Brissiaud introduisait le repère du 3 en traçant une croix sur les jetons correspondant (3ème et 8ème jeton d’une collection de 10 jetons alignés regroupés par 5). Il rappelait que 3 est le nombre limite d’unités que l’être humain peut traiter en un seul focus de l’attention. Avec des unités alignées, un enfant doit donc utiliser le repère 3 pour utiliser le repère 5. Concrètement, l’élève identifie ici 5 comme 2+1+2. Notons que les particularités des yeux de 3 et 8 ne se retrouvent pas dans la version épurée des « noums » avec des points à la place des yeux.
Rémi Brissiaud améliore aussi un procédé utilisé par Catherine Stern. Avec elle la compréhension des nombres se fait, en parallèle des réglettes graduées, avec les « pattern boards » qui organisent différemment les collections témoins (autour du repère 2 comme Suzanne Herbinière-Lebert[lxii]), avec le même objectif de mettre en relation les quantités. L’élève ne photographie donc pas des couleurs ou des organisations spatiales mais il accède par des représentations analogiques distinctes aux mêmes rapports entre des quantités. Avec Brissiaud non-seulement on dispose d’une collection-témoin organisée mais elle est présente aussi sur la réglette. Et par ailleurs les unités de base composant les réglettes (le « noum 1 ») peuvent être organisées sur l’écran en collections témoins privilégiant le repère 5 ou le repère 2. On utilise à cet effet d’une part des réglettes à deux compartiments de 5 cases mis bout à bout, similaires aux « boîtes de Picbille » inventées par Brissiaud pour ses précédents manuels ; d’autre part des grilles de deux colonnes de 5 cases chacune qui se remplissent comme les plaquettes Herbinière-Lebert (et Stern). Et pour faire bonne mesure, d’autres nombres figuraux sont mobilisés à la place des « noums » (doigts, schémas de doigts ou dominos privilégiant le repère 5) dont l’élève devra anticiper comment ils « rempliront » les deux « boîtes ».
Le rôle des couleurs
Les deux teintes grise et noire sont respectivement attribuées aux réglettes 5 et 10 et c’est là le seul rapport entre quantités clairement illustré par les couleurs des réglettes. Il semble bien que les couleurs attribuées à chaque réglette n’illustrent (et ne privilégient donc) aucune relation arithmétique entre les nombres : il n’y a pas de regroupement par famille de multiples (Pollock) ou de doubles (Cuisenaire) par exemple.
La couleur des « noums » a pour seule utilité manifeste d’aider à distinguer chaque « noum » d’un autre et si elle sert à titre secondaire d’aide-mémoire c’est pour fixer dans l’esprit les collections témoins d’yeux ou de points qui figurent en haut de chaque « noum ». Ce sont ces collections-témoins qui sont décomposées et apprises par les élèves, pas les couleurs. Rémi Brissiaud précise : « la couleur n'est pas une propriété mathématique, elle peut même créer un obstacle à la compréhension chez les enfants les plus fragiles : ceux qui s'efforceraient de reconnaitre les Noums à partir de leur couleur n'ont pas accès au repère 5 qui, lui, a partie liée avec la compréhension (conceptualisation) des nombres. »(*)
Les couleurs retenues sont les couleurs primaires (qui ne peuvent être obtenues par le mélange d’autres couleurs) et les secondaires (obtenues par mélange de deux primaires), auxquelles il faut ajouter le noir (obtenu par mélange des trois primaires), le gris (mélange de noir et de blanc), le marron (obtenu par mélange de rouge et de noir) et le rose (obtenu par mélange de rouge et de blanc).
La visée de plus grande distinction des couleurs entre elles est marquée par le souci de distinguer particulièrement les couleurs de deux nombres qui se succèdent (dont le « noum » a une longueur supérieure ou inférieure d’une unité) : autant que possible elles n’ont pas de couleur en commun. Pour représenter la suite des nombres, Brissiaud place en effet un « noum » de couleur primaire proche d’un « noum » d’une autre couleur primaire ou bien d’une couleur complémentaire (mélange de deux autres couleurs primaires, qui se trouve à l’opposé dans le cercle chromatique). Le noir et le gris échappent à la logique pour marquer l’importance de 5 et 10.
Puisqu’il qu’il n’y a que 6 couleurs primaires et secondaires, il fallait ajouter deux couleurs. Le rose (mélange de rouge et de blanc) pour le « noum 8 » et le marron (mélange de rouge et de noir) pour le « noum 9 » ont peut-être été choisis comme nuances de rouge de la plus claire (blanc) à la plus foncée (noire) pour progresser vers le noir du « noum » 10. Pourquoi des nuances du rouge (couleur du « noum » 3) et pas d’une autre couleur primaire ? Par analogie avec les « boîtes de Picbille » conçues par Rémi Brissiaud : à la troisième et à la huitième case une encoche était pratiquée pour le doigt et servait de repère (de même Brissiaud met en relief le troisième doigt dans les schémas de doigt de l’application Les Noums). Le rouge pour le « noum 3 » et le rose (composé de rouge) pour le « noum » 8 (5+3) servent donc de repère dans une représentation mettant en valeur le nombre 5. En effet Brissiaud rappelle que 3 est le nombre limite d’unités que l’être humain peut traiter en un seul focus de l’attention. Avec des unités alignées, un enfant doit donc utiliser le repère 3 pour utiliser le repère 5.
Le rôle des textures des monstres
Dans le même esprit qu’avec les couleurs, la texture des « noums » varie beaucoup pour distinguer chaque quantité : les trois premiers « noums » sont lisses, les trois suivants sont poilus, les deux d’après lisses, le suivant piqueté, le dernier strié. Et leur contour varie : extrémités plus ou moins anguleuses ou arrondies ; tracé droit, flottant ou hachuré. Etc.
Le rôle des expressions des monstres
Les visages des monstres et les sons qu’ils profèrent illustrent la visée de distinction de chaque « noum ». Chacun a sa propre expression. Je la décris telle que je la vois et que je l’entends : émerveillée (1), joyeuse (2), narquoise (3), triste (4), … (5), apeurée (6), sereine (7), en colère (8), demeurée (9), … (10). Là encore 5 et 10 échappent à la classification pour marquer leur importance dans les stratégies de calcul au sein du système décimal.
Le rôle des sons proférés par les monstres
Brissiaud attribue une hauteur de note à la voix de chaque « noum » : de la plus aigüe à la plus grave de 1 à 5 et à nouveau de 6 à 10. Les sons jouent un rôle pour distinguer la représentation de chaque quantité, pour représenter l’itération de l’unité et pour s’appuyer sur le repère 5. Cette possibilité technique aurait ravi Cuisenaire : pour regrouper les quantités en familles de doubles, il s’était appuyé sur le fait qu’un tuyau d’orgue dont la largeur est le double d’un autre tuyau produit une note plus basse d’une octave.
Le rôle des unités de base cachées/dévoilées
En plus des collections témoins d'yeux organisées autour du repère 5, l'autre innovation importante apportée par Rémi Brissiaud est le "scanner" ou "radio". Le dévoilement des unités de base qui composent les « noums » se fait soit en plaçant sur eux une sorte d’appareil de radiographie qui montre ce qu’ils ont dans le « ventre », soit en découpant du doigt les « noums » pour décomposer un nombre en plus petits nombres. Le dénombrement des unités de base sert ainsi soit à vérifier une anticipation (radiographie) soit à opérer sur les quantités elles-mêmes une fois comprises leurs relations. Compter ne dispense donc pas ici de comprendre les relations entre les quantités. Brissiaud améliore ainsi un procédé expérimenté dans une certaine mesure par Paulette Calcia avec sa « bûchette d’or » : la visualisation successive de deux représentations de la quantité. Peut-être d’ailleurs que ce procédé gagnerait à être introduit sur les « noums » solides manipulés par les élèves (graduer la face opposée à la collection témoin organisée) ?
Précisons la différence qu'il y a, du point de vue de la représentation mentale chez les élèves, entre couper un "noum" et radiographier un "noum" pour voir ce qu'il a dans le corps.
Quand un élève aux compétences fragiles coupe un "noum 4" avec son doigt autant de fois que possible, et que le "noum" se décompose en quatre unités de base, il peut penser que c'est à cause du nom du "noum", qu'il s'agit d'une simple règle : le "noum 4" donne 4. Ce n'est pas parce que nous sommes sur un écran que n'importe quelle convention peut être comprise par les élèves. Brissiaud s'est donc appuyé sur un ancrage dans le réel. Il a fait l'expérience que le scanneur / la radio justifie aux yeux des enfants les effets du découpage : c'est parce que le "noum 4" a quatre "noums" unités dans le corps qu'il peut être découpé en quatre noums unités.
Il faudrait approfondir enfin, mais Brissiaud l’a fait lui-même[lxiii], ce qu’apportent les « noums » (et l’usage de leur radiographie) à la modélisation de problèmes arithmétiques par rapport, notamment, à la « méthode de Singapour » dans laquelle « il y a un saut important entre la phase de manipulation et celle de modélisation ».
Conclusion
S’il faut chercher un ancêtre privilégié aux « noums » de Rémi Brissiaud, il me semble que c’est davantage Catherine Stern (qu’il ne mentionne pas concernant les « noums » ni dans Comment les enfants apprennent à calculer) que Georges Cuisenaire.
Par ailleurs, avec ses choix et les possibilités techniques dont il dispose, Brissiaud me semble avoir gagné sur tous les tableaux :
Il utilise des barres avec des unités représentées alignées, sans doute pour faciliter les mises en relation des quantités et représenter clairement l’itération de l’unité mais :
Je m’interroge plus sur les réglettes solides que Rémi Brissiaud utilise en parallèle de sa méthode avec support informatique. Quel est leur statut dans la mesure où elles sont forcément déficientes par rapport aux possibilités de l’écran ? Auraient-elles pu être graduées au dos ? Dans 15 ans on créera peut-être des barres empoignables qui rendront l’écran inutile : elles pourront dévoiler/masquer leurs unités de base à volonté, les scinder ou les rassembler par magnétisme, changer de couleur quand un nombre est recomposé, etc. En attendant, l’outil développé par Brissiaud et DragonBox est excellent et j’attends avec intérêt les retours des classes pionnières de CP.
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Gonzague Jobbé-Duval, octobre 2019 (dernière modification le 16 février 2020).
Professeur des écoles. Ni mathématicien ni germanophone, ce qui serait utile à celles et ceux qui voudraient creuser la question et exploiter pleinement les sources.
Pour mon grand bonheur, cet article a été reçu très favorablement par Rémi Brissiaud. Il a aussi été apprécié par Claire Lommé et mentionné par les éditions Retz.
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+ Note pour plus tard : Il faudra que j'aborde un jour le manuel de Guy Brousseau pour la première année d'école primaire conçu en 1962-1963 et paru en octobre 64 (daté de 1965) : BROUSSEAU, G. (1965) ; Les Mathématiques du cours préparatoire, premier fascicule ; Dunod (60 p). Il s'appuyait sur des baguettes de longueurs et de sections différentes, colorées.
En voici un commentaire par Brousseau : "Cet ouvrage en forme de manuel est un manifeste pour l’enseignement des « Mathématiques modernes » et même une sorte de provocation : les leçons et les exercices y sont suggérés de façon tout à fait laconique par des dessins. De nombreux concepts de la future Théorie des Situations s’y dissimulent, mais peuvent être déjà identifiés.
Les exercices suggérés dans cet ouvrage ont été adaptés pour être effectivement utilisés à l’école maternelle. Les préparations des leçons ont été publiées en 1972, par l’éditeur Hachette, sous le titre « Préparations et commentaires à l’usage de la maîtresse de classe maternelle ». Le compte rendu de l’interprétation qui en a été faite par les enseignantes a été publié, la même année, dans un second volume « mathématiques et thèmes d’activités ». Ces deux ouvrages étaient regroupés sous le titre « Première Mathématique » (à consulter sur ce site)."
NOTES
[i] Rémi Brissiaud est chercheur en psychologie cognitive, auteur en 1989 de Comment les enfants apprennent à calculer, responsable de la collection « J’apprends les maths » chez Retz. Ses travaux ont contribué à réintroduire clairement dans les programmes (2015-2016) les stratégies de décomposition-recomposition des nombres qui en étaient largement absentes depuis 1986.
[ii] BRISSIAUD Rémi, « Pourquoi l’école a-t-elle enseigné le comptage-numérotage pendant près de 30 années ? Une ressource à restaurer : un usage commun des mots grandeur, quantité, nombre, numéro, cardinal, ordinal, etc. », octobre 2014. Texte en ligne : http://www.cfem.asso.fr/debats/premiers-apprentissages-numeriques/Brissiaud_UneRessource aRestaurer.pdf
[iii] Régulière pour les collections témoins privilégiées par Brissiaud. Elle ne l’est pas toujours parfaitement : sur le dé classique les points de la face 4 ne sont pas organisé spatialement à partir des points de la face 3.
[iv] « Les Noums CP » est édité par la société franco-norvégienne We Want To Know[iv] (WWTK) qui développe depuis 2012 des jeux d’initiation mathématique pour tablettes sous la marque DragonBox, notamment deux excellentes applications à partir de 4 ans : DragonBox Numbers (à la conception de laquelle a participé Rémi Brissiaud) et Magnus Kingdom of Chess. Ses fondateurs sont Jean-Baptiste Huynh, « ex-ingénieur et analyste financier norvégien, reconverti dans l’édition – il a lancé Pomme d’Api en Norvège –, avant de devenir professeur de maths dans un lycée à Oslo »[iv] et Patrick Marchal, polytechnicien, docteur en sciences cognitives (1993), qui a d’abord réalisé des modèles informatiques du cortex visuel avant de développer des jeux vidéo pour différentes sociétés. L’entreprise est basée à Oslo.
WWTK a plus récemment développé des offres complètes pour les écoles primaires (CP puis CE1), d’abord en Norvège puis en France et en Finlande. À cet effet Rémi Brissiaud a été recruté comme « conseiller scientifique en pédagogie et en didactique des mathématiques ».
« J’ai été contacté par DragonBox alors que les noums [l’application grand public] existait déjà. J’ai ajouté le code 5 pour les yeux, le scanner, la boîte, la file de boites, la centaurette, la modélisation pour résoudre des problèmes…Bref, c'était un jeu diffusé sous la forme d'une appli grand public diffusée sur les stores, je l'ai transformé et largement complété pour créer un environnement didactique au service des enfants et des enseignants. » (Rémi Brissiaud, 31 octobre 2019, www.twitter.com/BrissiaudRemi/status/1189960881691615233?s=17)
Jubilatoire de voir son travail commenté avec autant d'intelligence. Quelle érudition ! Quelques pts d'histoire seraient à préciser: j'ai été contacté par DragonBox alors que les noums existaient déjà. J'ai ajouté le code 5 pour les yeux, le scanner, la boite, la file de boites… https://t.co/ETm8zC9nFl
— Brissiaud Rémi (@BrissiaudRemi) October 31, 2019
Rémi Brissiaud, « Dédoublement des CP : risque d'échec aggravé en calcul », note 7, Le Café pédagogique [en ligne, 13 septembre 2017. URL : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2017/09/13092017Article636408855185516203.aspx
[vi] La fonction de découpage et d’avalement est exploitée avec bonheur dans l’application grand public pour tablettes : « DragonBox Numbers ».
[vii] Comme l’explique Joël Briand à propos du rôle de la manipulation en mathématiques : « Si les questions se résolvent par du matériel, alors il n’y a aucune raison (sauf l’obéissance) pour s’investir dans des écrits, des tracés. » Les élèves doivent par la situation proposée anticiper le résultat matériel de leur manipulation, proposer des stratégies (oralement et par écrit) de résolution du problème et valider leur anticipation. Cf. « Réflexions actuelles sur les mathématiques à l'Ecole primaire », www.cafepedagogique.net, 15 avril 2010. URL : http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/primaire/elementaire/Pages/2010/112_elem_briand.aspx
[viii] Cela nous conduit plus profondément à un problème que je n’aborderai pas ici. Comme l’exprimait Madeleine Goutard, grande théoricienne des réglettes Cuisenaire : trop souvent « les élèves sont traités comme des manœuvres à qui l’on ne confie que les tâches serviles de dénombrement et de calcul. « Voilà tels nombres, additionnez-les, donnez la réponse ». Pourquoi ? À quelle fin ? Des buts et des intérêts de l’entreprise mathématique, ces manœuvres ne sont pas mis au courant ». Le mouvement Freinet cherchera ainsi à remplacer un usage purement scolaire (et même « scolastique »), par un usage vivant qui favorise une « culture du sens mathématique ». Voir Célestin Freinet « Pour un enseignement mathématique efficient, vers les mathématiques modernes », L'Éducateur n°12-13, mars 1966, C.E.L. L’article cite : Madeleine Goutard, Les mathématiques et les enfants. La pratique des nombres en couleurs dans les classes primaires, Ed. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel.
[ix] Son Rechenkasten (1889) contient 68 cubes percés de 5 cm de longueur et un certain nombre de baguettes en bois, à l’aide desquels les cubes peuvent être combinés à volonté. Cf. Max Hübner Die Apparate für instrumentales Rechnen und die wichtigsten Rechenapparate für den Schulgebrauch, nach ihrer inneren Zusammengehörigkeit betrachtet ein Führer durch die Rechengruppe des städtischen Schulmuseums, Breslau Schulmuseum, 1898, p. 14.
[x] Son Neuer Rechenapparat permet d’assembler solidement des cubes. Je pourrais à la limite l’intégrer aux autres appareils.
[xi] Les tuiles de Karen Fuson, développées d’après certaines pratiques japonaises, mesurent un pouce carré ou 5 pouces sur 1. Elles sont vendues avec la méthode « Math Expressions » éditée par Houghton Mifflin.
[xii] Le « Bruchrechenkasten » de Walter et Rudolf Madeya visait à représenter les fractions. Il fut inventé en 1952. Brevet allemand DE1649835 publié le 29 janvier 1953.
[xiii] A propos de Tillich, voir : Theodor Fritzsch, „Ernst Tillich. Zur 100. Wiederkehr seines Todestages“, Pädagogisches Magazin, Heft 330, 1908. Voir aussi : https://www.deutsche-biographie.de/sfz82710.html
[xiv] Ernst Tillich, Allgemeines Lehrbuch der Arithmetik, Leipzig, 1806.
[xv] Theodor Fritzsch, « Ernst Tillich », Pädagogisches Magazin, n°330, 1908
[xvi] Image issue de : Bibliotheca paedagogica. Verzeichnis der bewährtesten und neusten lehrmittel für höhere, mittlere und elementarschulen sowie von werken der erziehungsund unterrichts-wissenschaft. Cologne : Ständige Lehrmittel-Ausstellung, 1914. p. 206.
[xvii] Date d’un catalogue dans lequel le matériel apparait. En 1904, « Fritz Adam, enseignant à Meiningen », présente les „Adams Rechenbrett und Rechenkasten“ au Congrès international d’hygiène scolaire à Nuremberg. Mes illustrations sont issues de : https://digital.slub-dresden.de/werkansicht/dlf/343701/396/0/
Fritz Adam a notamment publié :
- „Der Rechenunterricht in der Meininger Hilfsschule“, Deutsche Hilfsschulen in Wort und Bild / Hrsg. von Wehrhahn, 1913, XXI.
- „Methodische An-weisung zum Gebrauch von Adams Rechenapparat“
- „Die Rechenschwierigkeiten im Zahlenraume von1 bis 100 und ihre Überwindung durch Adams Rechenapparat“
- „Einige methodische Hindernisse im Rechenunterricht“ Zeitschrift für Behandlung Schwachsinniger er-schienen, 1908.
[xviii] Conçu en 1894, présenté à l'assemblée générale de l'Association des professeurs catholiques de Silésie à Frankenstein le 8 juin 1897 et repris dans l’article : Adam Langer, „Reformen im Rechenunterrichte auf der Unterstufe“, in Pädagogische Monatshefte. Zeitschrift zur Förderung der katholischen Pädagogik der Lehrerbildung und gesunder Unterrichtsreformen, III° Jahrgang, Stuttgart, 1897.
Voir aussi : Langer, Der erste Rechenunterricht. Ausführliche Anleitung zum Gebrauche des Posner-Langerschen Rechenkastens für Schule und Haus, autopublié, 1900.
Voir aussi : Wolff, A. „Kann die russische Rechenmaschine ihren alten Platz in der Schule behaupten oder ist ihr der Posner-Langersche Rechenkasten vorzuziehen ?“, Arch. Schulpraxis, Paderborn, 5, 1902, (pp. 465-467,488-491,506-509, 527-529).
[xix] Préfiguration des rôles respectifs de Cuisenaire et Gattegno après la Seconde Guerre Mondiale.
[xx] D’après Max HÜBNER, Die Apparate für instrumentales Rechnen und die wichtigsten Rechenapparate für den Schulgebrauch, nach ihrer inneren Zusammengehörigkeit betrachtet ein Führer durch die Rechengruppe des städtischen Schulmuseums, Breslau Schulmuseum ; Zimmer, 1898.
[xxi] Mode d’emploi dans : W. Müller, Der Elementarunterricht im Rechnen unter Anwendung von W. Müllers verbessertem Rechenkasten, Leipzig : Carl Merseburger, 1902. Brevet allemand : DRGM 138483. Brevet autrichien : „AT6122 (B) - Rechenkasten“ en 1901. Müller était recteur à Zeitz.
[xxii] Pädagogische Woche. Organ des Westfälischen Provinzialvereins, des Katholischen Lehrerverbandes und der Hermann Hubertus Stiftung, Bochum, 1905, Nr. 33 : Neue Rechenapparate, p. 434.
[xxiii] Cf. Bibliotheca paedagogica. Verzeichnis der bewährtesten und neusten lehrmittel für höhere, mittlere und elementarschulen sowie von werken der erziehungsund unterrichts-wissenschaft. Cologne : Ständige Lehrmittel-Ausstellung, 1914. Pp. 204-205.
[xxiv] Neue Bahnen : Zeitschrift der Reichsfachschaft IV im NSLB Leipzig, n°14, 1903, p. 510.
[xxv] Cornelia Philippi Van Reesema, « Les Précurseurs de Mme Montessori, Pour l’Ere Nouvelle, II, N°22, 1926, p. 124. Edouard Séguin, Traitement moral, hygiène et éducation des idiots et des autres enfants arriérés ou retardés dans leur développement, agités de mouvements involontaires, débiles, muets non-sourds, bègues, etc..., Paris : J.B. Baillière, 1846, pp. 423-424. Il ne s’agissait chez Seguin que de ranger les règles de la plus petite à la plus grande et pas du tout d’établir des relations numériques.
[xxvi] Maria Montessori, Dr Montessori’s Own Handbook, New-York : Frederick A. Stokes Company, 1914, p. 107 [ma traduction].
[xxvii] 8 et 9 sont de couleurs Lavender et Dark blue en anglais, violetta et turchina dans la version originale italienne (L'autoeducazione nelle scuole elementari; continuazione del volume: Il metodo della pedagogia scientifica applicato all' educazione infantile nelle case dei bambini, 1916.)
[xxviii] Maria Montessori, The Advanced Montessori Method. Scientific pedagogy as applied to the education of children from seven to eleven years. II. The Montessori Elementary Material. Translated form the italian by Arthur Livingston, Londres : William Heinemann, 1919, pp. 199-200.
[xxix] Peggy Aldrich Kidwell, Amy Ackerberg-Hastings and David Lindsay Roberts, Tools of American Mathematics Teaching 1800-2000, Johns Hopkins University Press, Baltimore : 2008, p. 151.
[xxx] S.R., « George Cuisenaire, notre ami, bonne année ! », Les Nombres en couleur. Bulletin Cuisenaire, n°11, janvier 1964.
[xxxi] « L’usage des constellations a été critiqué, vers 1970, parce qu’il risque d’induire une confusion entre la forme et le nombre, alors que les enfants doivent apprendre que le nombre d’objets d’une collection est indépendant de la configuration spatiale privilégiée. Ce risque existe. Mais il peut être contenu par des pratiques pédagogiques favorisant la comparaison des différentes représentations des nombres parce que celles-ci correspondent à des configurations différentes. » (Rémi Brissiaud (dir.), J’apprends les maths avec Tchou – CP. Livre du maître, Retz, 2009, p. 18).
Jean-Paul Fischer date de la réforme de 1970 l’abandon général de toutes les constellations de points et il fournit deux explications. La première était explicitement évoquée alors : les élèves risquaient « une confusion entre le nombre et la disposition spatiale ». La seconde était implicite : le mouvement de réforme des programmes visait à « rendre la mémorisation inutile » ; or « la fonction majeure des constellations est, précisément, la mémorisation des premiers faits additifs (…) » (FISCHER Jean-Paul, « La distinction procédural/déclaratif : une application à l'étude de l'impact d'un "passage du cinq" au CP », Revue française de pédagogie, volume 122, 1998. Recherches en psychologie de l'éducation. pp. 99-111.)
[xxxii] Rémi Brissiaud, Comment les enfants apprennent à calculer, Retz, 1989.
[xxxiii] Seton Pollock, United States Patent Office n° 3,204,343. Patented Sept. 7, 1965.
[xxxiv] Edités en Grande-Bretagne par Colour-Factor Ltd (Reading).
[xxxv] William A. Ewbank, “The Use of Color for Teaching Mathematics.” The Arithmetic Teacher, vol. 26, no. 1, 1978, pp. 53–57. JSTOR, www.jstor.org/stable/41190497.
Brevet de l’invention : United States Patent Office n°3,204,343. Patented Sept. 7, 1965. [Enregistré en 1962 aux États-Unis. Breveté en 1961 en Grande-Bretagne]
[xxxvi] C’est du moins ce qu’on apprend dans : Barbara Sicherman, Carol Hurd Green, Notable American Women: The Modern Period : a Biographical Dictionary, Harvard University Press, 1980. Ainsi que sur le site Internet https://sternmath.com/who-we-are.html [Consulté le 14/10/2019]
[xxxvii] Peggy Aldrich Kidwell, Amy Ackerberg-Hastings and David Lindsay Roberts, Tools of American Mathematics Teaching 1800-2000, Johns Hopkins University Press, Baltimore : 2008, p. 151.
[xxxviii] Catherine Stern et Margaret B. Stern, Children Discover Arithmetic. An Introduction to Structural Arithmetic, Harper & Row, 1971, pp. 18-20.
[xxxix] https://sternmath.com/who-we-are.html [Consulté le 14/10/2019]
[xl] https://sternmath.com/who-we-are.html [Consulté le 14/10/2019] Il faudrait pouvoir lire le compte-rendu plus précis pour savoir quel état du matériel a été présenté. Voir : Schweizerischer Kindergarten-Verein (1935). Bericht über die Vereinstätigkeit 1931/34 und den XVII. Schweiz. Kindergartentag abgehalten am 6. Und 7. Oktober 1934 in Bern. St Gallen: Buchdruckerei H. Tschudy & Co.
[xli] Schweizerische Lehrerzeitung, Volume 28, Décembre 1934.
[xlii] Schweizerische Lehrerzeitung, Volume 28, Octobre 1934.
[xliii] Les époux Stern y passent plusieurs mois à partir de septembre 1933 car Rudolf espérait trouver un poste de médecin en Afrique du nord.
[xliv] STERN Frederick and HORNER Vikki, “Catherine Stern’s Structural Arithmetic Method and the work of Max Wertheimer: The Value of Gestalts in Teaching Arithmetic”, Psychology Abstract Book from the 5th Annual International Conference on Psychology, 30 - 31 May, 2011 & 1 – 2 June, 2011, Athens, Greece. Edited by Gregory T. Papanikos
[xlv] STERN Catherine B., Children Discover Arithmetic: An Introduction to Structural Arithmetic, Harper : 1949.
[xlvi] Sous le nom de « The Stern Apparatus » par Educational Supply Association Limited.
[xlvii] HORNER Vikki, “Dr Catherine Stern and Gestalt Psychology”, https://mathsextra.wordpress.com/2010/03/25/dr-catherine-stern-and-gestalt-psychology-3/ [Consulté le 18/08/2018]
[xlix] Catherine Stern et Margaret B. Stern, Children Discover Arithmetic. An Introduction to Structural Arithmetic, Harper & Row, 1971, pp. 18-20.
[l] Paulette Calcia, notice d’utilisation de la Bûchette d’or.
[li] Paulette Calcia, brevet FR1471051 - 1967-02-24, Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). URL : https://bases-brevets.inpi.fr/fr/resultats-recherche-simple/1566245727889/result.html
[lii] https://bases-brevets.inpi.fr/fr/resultats-recherche-simple/1565994052631/result.html#row_1
[liii] Artur Kern, Kurze Anleitung zu meinem Rechenkasten, Freiburg : Herder, 1955. Voir aussi : Artur Kern, Meine Fibel zum Rechenkasten, Herder, 1968.
[liv] Je ne sais pas si cette façon de s’exprimer est tout à fait correcte en mathématiques.
[lv] Les boîtes de Picbille datent-elles de 2001 ou de 2004 ?
[lvi] Rémi Brissiaud et André Ouzoulias, Notice « Boîtes de Picbille », Retz, édition 2012.
[lvii] Note personnelle : si je comprends bien, ce ne sont pas pour autant des collections témoins.
[lviii] BRISSIAUD Rémi, « Pourquoi l’école a-t-elle enseigné le comptage-numérotage pendant près de 30 années ? Une ressource à restaurer : un usage commun des mots grandeur, quantité, nombre, numéro, cardinal, ordinal, etc. », octobre 2014. Texte en ligne : http://www.cfem.asso.fr/debats/premiers-apprentissages-numeriques/Brissiaud_UneRessource aRestaurer.pdf)
[lix] Rémi Brissiaud, « Les recommandations Blanquer et la résolution de problèmes arithmétiques à l’école », Le Café pédagogique [en ligne], 29 juin 2018. URL : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/06/29062018Article636658542946041670.aspx
[lx] Malheureusement l’œil n’est pas toujours fermé, ce qui rend un peu confuse la distinction entre 5 et 6.
[lxi] Rémi Brissiaud (dir.), J'apprends les maths CP. Livre du maître, Retz, 2016, pp. 8-9.
[lxii] En 1926, dans la revue L’Éducation enfantine, Suzanne Herbinière-Lebert énonce clairement son choix : « Nous avons repris l’idée qui conduisit Mme Montessori à établir ses barres et ses chaînes de perles, idée consistant à matérialiser chaque quantité et à la présenter sous la forme d’un tout. Mais nous n’associons pas la notion de quantité à une longueur comme dans les barres, à une longueur et une couleur comme dans les chaînes de perles mais à une forme, à un plan, qui nous paraissent plus concrets encore. » (HERBINIERE-LEBERT Suzanne, « Initiation sensorielle au calcul », L’Éducation enfantine, n°1, 1er octobre 1926). Herbinière-Lebert privilégia la forme et le plan plutôt que la couleur et la longueur pour matérialiser les quantités sous la forme d’un tout. Même les barrettes de perle qu’elle proposa étaient de différentes formes en plus de l’alignement.
[lxiii] Rémi Brissiaud, « Les recommandations Blanquer et la résolution de problèmes arithmétiques à l’école », Le Café pédagogique [en ligne], 29 juin 2018. URL : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/06/29062018Article636658542946041670.aspx