Ressources et idées pour l'école primaire. Décomposition des nombres, poésie, pédagogie
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Conçues dans les années 1930 par Suzanne Herbinière-Lebert (qui devint inspectrice générale de l’instruction publique) et couramment utilisées jusque dans les années 60[1] (voir l'article sur l'histoire internationale de ce matériel) les plaques-nombres furent à nouveau préconisées par Rémi Brissiaud à partir de 1989[2] afin d’éviter le « comptage-numérotage » et de favoriser les stratégies de décomposition-recomposition[3] qui permettent d’accéder au nombre comme « relation entre des quantités »[4]. Ces stratégies étant remises à l’honneur dans les nouveaux programmes de maternelle (2015), il parait opportun d’approfondir l’usage possible des plaques-nombres en complément d’autres « collections-témoins organisées » / « nombres figuraux » (doigts, constellations du dé…).
Brissiaud, jugeait que les anciennes leçons proposées avec les plaques-nombres rendaient les élèves « très dépendants de l’adulte, tant dans la gestion de l’activité que dans son évaluation »[5]. Il souhaita donc faire de ce matériel un « outil de communication dans la relation maître-élève ». En 1994, dans un Livre du maître pour la grande section de maternelle[6], il proposait des activités en ce sens et expliquait comment fabriquer le matériel Herbinière-Lebert avec du carton. Il développait aussi des « Livres à calculer » qui s’appuient notamment sur les configurations Herbinière-Lebert. Notons qu’à partir de 1996, au Royaume-Uni, un ambitieux programme d’éducation était développé à partir des plaques-nombres : Numicon.
J’ai fait l’expérience des bienfaits des activités proposées par Brissiaud dans une classe de grande section. Mais j’ai aussi cherché comment favoriser plus encore un apprentissage qui concerne toute la classe et pas seulement le petit groupe que je dirigeais, un travail qui soit aussi autonome et qui permette aux élèves de résoudre ensemble des problèmes. J’ai donc conçu quelques situations et cherché le matériel le plus adéquat (cf. mon article : « A la recherche des plaquettes Herbinière »), d’abord en le fabriquant puis en l’achetant.
Domaine : Construire les premiers outils pour structurer sa pensée - Découvrir les nombres et leurs utilisations.
« La maîtrise de la décomposition des nombres est une condition nécessaire à la construction du nombre. […] Entre deux et quatre ans, stabiliser la connaissance des petits nombres (jusqu’à cinq) demande des activités nombreuses et variées portant sur la décomposition et recomposition des petites quantités (trois c’est deux et encore un ; un et encore deux ; quatre c’est deux et encore deux ; trois et encore un ; un et encore trois) […] L’itération de l’unité (trois c’est deux et encore un) se construit progressivement, et pour chaque nombre. Après quatre ans, les activités de décomposition et recomposition s’exercent sur des quantités jusqu’à dix. »
Objectifs de fin de maternelle (étudier les nombres):
Organisation générale
J’ai conçu ces situations d’apprentissage, complémentaires de celles présentées par Rémi Brissiaud (cf. mon document à télécharger ici.) et mises en œuvre en grande section de maternelle, pour favoriser l’autonomie des élèves et leur coopération au sein d’un travail en classe entière.
Ces situations peuvent être menées en petit groupe mais elles se prêtent bien à une activité en groupe classe. En effet :
Lors de la présentation de l’activité, l’enseignant.e énonce l’objectif d’apprentissage et les règles du jeu. L’enseignant.e veille ensuite à se placer à côté des élèves les moins avancés pour observer leurs procédures et étayer. Elle/Il sera muni.e d’une grille d’évaluation. Après l’activité, les apprentissages font l’objet d’un bilan dans le « coin regroupement » pour que les élèves mettent en lumière les procédures gagnantes et les (dé)compositions apprises.
Les plaques-nombres sont présentées progressivement au cours de l’année. Quand la décomposition d’un nombre est acquise, on peut passer à n+1. Dans une classe à double niveau MS-GS, les nombres présentés (et leur symbolisation) sont adaptés au niveau de chacun.
A/ Combien faut-il ajouter pour obtenir ce nombre ?
Combien faut-il ajouter pour faire 10 ? (compléments à 10).
Consigne : « Nous allons faire un jeu pour apprendre toutes les manières possible de faire 10. À la fin du jeu je vous demanderai lesquelles vous avez trouvées et comment vous avez fait. Chaque équipe de deux élèves aura une feuille comme celle-ci avec plusieurs contours du groupe[12] de 10 ronds. Dans chaque contour il manque des ronds. Pour gagner, il faut trouver combien ajouter de ronds pour faire 10.
Demander encore à 2 ou 3 élèves moins avancés pour vérifier la compréhension de toute la classe. Si des stratégies différentes apparaissent, les noter et demander à chacun de réfléchir pendant le jeu lesquelles lui permettent de trouver le plus facilement la solution.
Déroulement
Chaque paire d’élèves a devant elle une feuille avec des gabarits de plaques à compléter pour atteindre 10 ronds. Elle commande ce qui manque en écrivant le nombre sur une ardoise. 5 élèves placés dans le « coin regroupement » sont chargés de livrer la plaque-nombre demandée. Le jeu s’arrête quand toutes les feuilles ont été complétées au moins une fois.
Combien faut-il ajouter pour faire x ?
Pour les autres nombres, par lesquels il faut commencer, il sera sage de privilégier certaines décompositions des 10 premiers nombres parmi les 45 décompositions possibles. Brissiaud recommande : « 6 = 5 + 1 (itération de l'unité), 6 = 3 + 3 (double), 7 = 6 + 1 (itération de l'unité), 7 = 5 + 2 (repère 5), 7 = 3 + 3 + 1 (double +1), 8 = 7 + 1 (itération de l'unité) »[13].
Support à télécharger :
B/ Jour de marché : composer un nombre avec deux nombres
Consigne
1/ Mettre en scène la situation devant toute la classe :
« Aujourd’hui on va jouer au jeu du marché. Des élèves vont vendre des choses et d’autres élèves vont les acheter avec les plaques-nombres. Mais c’est un marché très spécial où les gens aiment bien réfléchir sur les nombres, alors on n’a pas le droit de payer avec une seule plaque-nombre. Il en faut au moins deux.
[Même scénario]
2/ Questions des élèves puis formulation de la consigne générale : « Les client.e.s peuvent acheter librement mais en respectant des règles : on n’achète qu’une chose à la fois, au prix indiqué sur les feuilles ; on doit obligatoirement donner deux plaques-nombres (ou plus). Les marchand.e.s sont obligé.e.s de vendre à qui paye le bon prix. Les marchand.e.s vérifient au dos de la feuille si les deux groupes de ronds font bien ensemble le nombre demandé. Les objets achetés serviront à [voir plus bas : « que deviennent les objets achetés ?]»
Déroulement
Répartition des rôles et des tables : 2 tables client.e.s avec les plaques-nombres au milieu ; 2 tables marchand.e.s avec les objets à vendre. « Le marché est ouvert. »
Les objets en vente peuvent être :
Chaque stand a un prix affiché sur une feuille (de 3 à 10) : en chiffre d’un côté et de l’autre avec le gabarit de la plaque correspondante.
Les client.e.s peuvent être en binôme pour favoriser la verbalisation des stratégies et des décompositions.
Le jeu s’arrête quand les acheteurs sont démunis. « Le marché est fermé ».
On peut alors inverser les rôles immédiatement ou bien attendre une prochaine séance.
Variante : tout le monde achète. Les objets sont mis sur des tables spécifiques avec leur prix. Les plaques-nombres sont sur les autres tables. Chacun.e contrôle soi-même la validité de son achat. Il est utile alors de constituer des binômes pour favoriser la verbalisation des stratégies et l’étayage mutuel.
Que deviennent les objets « achetés » ?
Adaptation pour une classe à double-niveau MS-GS ou pour une classe hétérogène de grande section (comme l’est toute classe).
Les nombres sont répartis par difficulté croissante sur quatre tables.
Chaque table est tenue par deux vendeurs.
Télécharger les étiquettes-prix avec gabarits :
Présentation plus complète de ce jeu dans l'article dédié : Au marché
et dans ce document PDF
C/ Jour de soldes : rendre ce qui est en trop (fin de grande section)
Consigne
1/ Mettre en scène la situation devant toute la classe :
« Voici un nouveau jeu. C’est le jour du marché aux kaplas et aujourd’hui ils ne sont pas chers. Ils valent de 1 à 5 ronds.
2/ Questions des élèves puis formulation de la consigne générale :
« Les client.e.s peuvent acheter librement mais en respectant des règles : on n’achète qu’une chose à la fois, au prix indiqué sur les feuilles. Les marchand.e.s n’ont pas le droit de refuser de vendre et ils doivent rendre les ronds en trop.
Déroulement
Les client.e.s ont à leur disposition sur deux tables des plaques de 5 à 10 ronds.
Les marchand.e.s, sur deux autres tables, vendent des planchettes de bois (kapla) qui valent de 1 à 5 ronds. Le prix des kaplas est affiché en chiffre et chaque marchand.e dispose d’un gabarit en carton découpé comme la plaque-nombre correspondante et ne comportant pas de ronds. Elle/il dispose aussi d’un stock de petite monnaie (plaques de 1 à 5 ronds).
Au fur-et-à-mesure du jeu, les client.e.s disposent de plus de « petite monnaie » et peuvent ainsi donner le montant exact. Le jeu s’arrête quand les client.e.s n’ont plus de quoi acheter les kaplas.
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NOTES
[1] HERBINIERE-LEBERT S. , Combien font ? Cahier de calcul pour les enfants de 5 à 7 ans. Exercices d’application et de contrôle, Fernand Nathan, 1956. FARENG R. & FARENG M., L'apprentissage du calcul avec les enfants de 5 à 7ans. Paris, Fernand Nathan, collection « Comment faire ? », 1966.
[2] Encore tout récemment : « […] l’usage de collections-témoins qui sont organisées comme les doigts (repère 5) et de collections-témoins organisées à l’aide des doubles (les dominos de Herbinière-Lebert, par exemple) semblent évidemment des aides incontournables. Ces nombres figuraux étaient systématiquement utilisés à l’école maternelle avant 1970. Le choix de favoriser le premier cheminement devrait s’accompagner d’un usage plus fréquent de ces outils pédagogiques […] ». Cf. BRISSIAUD Rémi, « Pourquoi l’école a-t-elle enseigné le comptage-numérotage pendant près de 30 années ? Contribution aux travaux des groupes d’élaboration des projets de programmes C2, C3 et C4 ». URL : http://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/83/4/Brissiaud_Remi_-_Chercheur_-_CSP_Contribution_362834.pdf
[3] Voir aussi le jugement des didacticiens Fareng et Fareng qui publièrent en 1966 un manuel d’apprentissage du calcul avec le matériel Herbinière-Lebert : « La perception qui doit se faire à la fois du nombre, des parties, des relations entre ses parties et lui-même, est détruite par la manipulation unité par unité. Une seule solution : présenter chaque nombre de façon indivise. […] Les groupements numériques permettent la perception intuitive des décompositions et recompositions, et, en aidant à l’abstraction, leur mémorisation. […] Que l’on examine par exemple comment les plaquettes Herbinière Lebert permettent l’étude du nombre 7 : la forme de ce dernier nombre est constante quand sa structure interne varie : il y a conservation absolue de sa totalité dans l’espace, quoique les relations de ses diverses parties soient sans cesse modifiées.» (Fareng et Fareng, op. cité)
[4] BRISSIAUD Rémi, « Pourquoi l’école a-t-elle enseigné le comptage-numérotage pendant près de 30 années ? Une ressource à restaurer: un usage commun des mots grandeur, quantité, nombre, numéro, cardinal, ordinal, etc. », octobre 2014. Texte en ligne : http://www.cfem.asso.fr/debats/premiers-apprentissages-numeriques/Brissiaud_UneRessource aRestaurer.pdf
[5] BRISSIAUD Rémi, Comment les enfants apprennent à calculer, Retz, 2003 (1ère édition 1989), p. 170.
[6] BRISSIAUD Rémi, J'apprends Les Maths - Livre Du Maître, Grande Section De Maternelle, Retz, 1994.
[7] Les trous permettent notamment d'accrocher les plaques (shapes) sur des grilles (baseboards), par exemple pour décomposer le nombre 6 de différentes manières ou pour remplir une grille de 100. Des tubes-unité (pegs) s'insèrent aussi dans les trous des plaques.
[8] “Box of 80 Numicon Shapes (Grey).” URL : www.numicon.com
[9] Pour le détail et le matériel associé (planches à photocopier, notamment), voir BRISSIAUD Rémi, J'apprends Les Maths - Livre Du Maître, Grande Section De Maternelle, Retz, 1994, réédité en 2005.
[10] Brissiaud propose aussi des albums avec des collections-témoins organisées à l’aide du repère 5.
[11] C’est la 3ème phase d’utilisation de l’album. On travaille d’abord sans rabat puis en cachant la page de droite.
[12] En 2003, pour désigner une enveloppe de 10 jetons ou de 100 jetons, Brissiaud préfère l’emploi du mot « groupe » : « l’usage du mot « goupe » est préférable à celui de « paquet », « enveloppe », etc. parce qu’il est plus abstrait et qu’il favorise mieux le transfert des propriétés dégagées dans un type de situations aux situations qui ont la même structure. » (Rémi Brissiaud, Comment les enfants apprennent à calculer, Retz, nouvelle édition augmentée 2005, pp. 72-73.). Pour cette raison, j’essaye de moins employer le terme de « plaque » en dehors de la désignation du matériel. Mais il faut bien que je parle parfois de la « plaque de 1 »… De plus, dans le cas d’une collection-témoin organisée (ce que ne sont pas des jetons dans une enveloppe), « plaque » a une dimension spatiale utile.
[13] « Si l'on fait le calcul du nombre de décompositions qu'il faut savoir utiliser pour connaître de manière approfondie les 10 premiers nombres, on en trouve 45, toujours en se cantonnant aux décompositions en deux nombres seulement. Aussi n'est-il guère raisonnable d'espérer que l'ensemble des enfants se soit approprié les 10 premiers nombres en fin de GS. Comme 45 décompositions sont en nombre trop élevé, la question se pose de savoir lesquelles il convient de privilégier pour l'étude des nombres après 5. La réponse va pratiquement de soi : les décompositions qui ont partie liée avec l'itération de l'unité, évidemment, ainsi que celles qui sont privilégiées par les deux grands systèmes de constellations que l'école utilise depuis bien longtemps (voir figure ci-dessous) : en premier, celles du type 5 + n et, en second, les décompositions des nombres pairs en doubles et celles des nombres impairs en doubles + 1. L'accès aux décompositions suivantes, par exemple, doit être considéré comme prioritaire : 6 = 5 + 1 (itération de l'unité), 6 = 3 + 3 (double), 7 = 6 + 1 (itération de l'unité), 7 = 5 + 2 (repère 5), 7 = 3 + 3 + 1 (double +1), 8 = 7 + 1 (itération de l'unité), etc. » (Rémi BRISSIAUD, « Le nombre dans le nouveau programme maternelle », Le Café pédagogique [en ligne], 2015.) L’itération de l’unité et les décompositions des nombres en doubles (+1) sont les mieux ajustés à ces plaques-nombres que Brissiaud nomme aussi « dominos des doubles ». Notons que ces recommandations de décompositions privilégiées datent de 2015. Dans son manuel plus ancien, Brissiaud ne privilégiait pas particulièrement ces décompositions là pour le jeu consistant à trouver le complément d’un nombre.